Über-boudeur

 

Batailles choisies #370

Qui a un enfant très boudeur? Je ne trouve en général qu’une technique, loin de la bienveillance, pour en sortir: le coup de sang (figuré, hein). 😦


 

Les bouderies de Grand me laissent désemparée.

Les bouderies des heures oreilles bouchées, des heures sous le lit, des heures à refuser le dialogue.

Les bouderies parce qu’on lui a dit qu’il avait mal rangé la boîte à jouets, qu’il fallait arrêter de taquiner son frère constamment, ou que non, un deuxième biscuit, c’était hors de question.

Les bouderies de Grand sont terribles, longues, éreintantes. Ce sont des bras de fer en bouches pincées, des joutes immobiles d’un bout à l’autre du salon, des duels de mimes contrariés entre lui et moi.

Il faut dire que Grand est un boudeur de première catégorie, un boudeur de compétition, un über-boudeur. Et, si je me trouve plutôt compétente en gestion de conflits et en négociation, je ne sais souvent pas comment appréhender ses bouderies.

  • Non, je mange pas. J’ai pas faim. Et je vais pas me dépêcher pour aller à l’école.

Et effectivement: il traîne en me faisant bien remarquer qu’il traîne, il s’habille très doucement, enfile le plus lentement possible, tout en me lançant des regards noirs, une jambe de pantalon, une autre jambe de pantalon, met très lentement son t-shirt, se déplace au ralenti jusqu’à ses chaussures qu’il enfile et scratche en slow-motion, puis, une fois dehors, avance chaque pas comme s’il tentait de traverser un torrent alpin d’où sortent de rares appuis, ne me lâchant pas des yeux au cas où j’aurais oublié qu’il boude, marche un tout petit peu derrière moi pour être certain de me ralentir, monte les marches de l’école, non pas quatre à quatre, mais une à une comme si des boulets grevaient ses pieds, puis, après ne m’avoir ostensiblement adressé aucune parole aimante ni même signal vital, part vers sa classe, la tête haute, vainqueur sans conteste du championnat international de la bouderie.  


Un über-boudeur, vous dis-je. 


Oui, j’ai essayé de l’ignorer - ça va lui passer.

Oui, j’ai essayé de le faire changer d’idées en lui proposant quelque chose qui l’intéresse - on fait un dessin, mon Doux?

Oui, j’ai essayé de comprendre la cause du problème - mais si on te dit de faire attention à ton frère, c’est que les jeux peuvent vite devenir dangereux pour lui.

Oui, j’ai essayé de parler de ses émotions - tu es frustré parce que tu voulais la compote, tu peux le dire, je peux comprendre, même si je ne vais pas accéder à ta demande.


Alors, quel est le score de ces cascades maternelles?

0 - Grand? Il boude dans sa chambre depuis 45 minutes.

0 - Je vais déchirer ton dessin de toute façon.

0 - Très bien si Dernier a mal, je veux qu’il ait mal.

Et 0 pointé - je suis pas frustré, je t’aime pas, c’est tout.


Lors de ses bouderies, inatteignable, renfermé, intraitable, Grand demande clairement de l’aide, ou de l’attention. Or, une des seules techniques qui marchent, pour moi, c’est de me mettre en colère, de crier.


Je ne le fais pas systématiquement parce que je suis tenaillée par le doute, parce que je me dis que, certes, ma furie stoppe net sa bouderie, mais qu’elle ne résout pas le problème, ne fait que le déplacer et sans doute la parentalité positive me dirait: quelle mauvaise mère tu fais là, à ne pas prendre en compte les émotions de ton enfant.

Pourtant, j’ai aussi souvent l’impression que Grand a besoin d’aide pour sortir des murs dans lesquels il s’est lui-même enfermé. Qu’il demande à en être extirpé, quitte à ce que ce soit à la force. Je me dis qu’il veut que je me fâche. Que c’est pour ça qu’il essaie, du haut de ses six ans, d’être le plus insupportable possible.

Certains jours, je me dis que c’est lui rendre service que de lui tomber dessus à bras raccourcis (on reste au figuré, hein).


Pourtant… toujours cette image de la mère qui trouve des solutions bienveillantes me revient devant les yeux et je me dis: non, sois patiente, compréhensive, ne te laisse pas emporter par la colère.


La colère est une des émotions que je ressens le plus, une que je tais le plus aussi.

Certains jours, à force d’essayer d’être une maman positive et bienveillante, j’en oublie que la colère est un outil légitime, une manière de refuser de se faire marcher dessus, une manière de trouver un nouvel ordre des choses, de refuser un ordre des choses qui me broie.

Ce n’est pas très Filliozat, mais enfin, certains jours avec Grand, j’adopte la technique biblique:

si tu me cherches, tu me trouves.


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Batailles rangées⭣