Yeux questionnaire

 

Batailles choisies #337

Un bébé qui vous pose des questions avec ses yeux et toute sa petite bouille, ou comment demander en langage universel “et ça, je peux, Maman?” 🤔


 

Il l’a repérée, la tour de cubes à l’autre bout du tapis.

Il la regarde.

Il la vise.

Il se met en mouvement.

Il penche.

Il pose ses mains.

Il se contorsionne.

Il pose ses genoux.

Et fouette bébé!


Dernier se déplace à quatre pattes depuis deux semaines. Il a eu un jour de déplacement hésitant. Depuis, ça roule - c’est-à-dire ça rampe. 

Nouvelle étape franchie.

Mon bébé se déplace tout seul.

Mon bébé peut explorer le monde sans moi.

Mon bébé découvre que sa volonté et sa curiosité sont ses moteurs et ses plaisirs.


Je sais que je vais regretter la période “je te laisse sur ton tapis d’éveil, hein, tu t’amuses tout seul pendant que j’écris un email” puisque la voilà en quelques jours remplacée par “tu es déjà dans l’entrée? Oh, ben, non, on ne peut pas manger les chaussures”.

Je vais la regretter pourtant… quel cadeau que la nouvelle période qui s’ouvre!  

- Le cadeau? vous offusquez-vous. Quel cadeau? Celui de cacher les prises, de ranger cinquante fois par jour les jouets, de se demander s’il mâchouille une feuille d’arbre, une feuille A4 ou une feuille de brick?

- Mais si… le cadeau… le cadeau de ces questions qu’un bébé nous pose, avec sa bouille, avec ses yeux, surtout.


Dernier se précipite sur la tour de cubes. 

Je l’ai construite à sa hauteur de bébé sur quatre pattes, bien colorée, bien visible, bien alléchante - il y va, évidemment.

Il la fait tomber d’un geste de godzilla, décidé autant que lourdaud. Il lance sur moi son air étonné qui interroge à la cantonade: c’est ça qu’il fallait faire, Maman?

Quand on a bientôt neuf mois, on ne sait pas quoi penser de ce pouvoir, de cette tour qui a dégringolé, de ce mouvement qui est bien rigolo, mais qui fait du bruit, quand même.

Alors, on demande à sa Maman avec un visage interrogateur, on suspend sa joie à l’approbation d’un adulte de confiance qui nous accompagne.

Maman applaudit et dit “bravo!”

Alors, on sait qu’on a le droit, qu’on n’a rien fait de mal.

Alors, on laisse s’élargir son grand sourire édenté, on rit, on a les yeux qui pétillent.

On peut détruire les tours de cube? On peut, bien vrai? On veut, alors!


- Et ça, Maman?

- Non! Le fil électrique! Non, Dernier, absolument pas!

- Ah, dommage. Et ça, Maman?

- Une page de livre qui se déchire… je préfèrerais éviter.

- Et ça?

- Des brins d’herbe, bof, il faut faire attention.

- Et ça? Ça, c’est drôlement sympa.

- Écoute, chéri, c’est bien de travailler tes défenses immunitaires, mais enfin cette balle est absolument dégoûtante…

- Et ça?

- Le sac de pinces à linge, je ramasserai…

- Et ça, qu’est-ce que c’est intéressant!

- Oui, un cordon de jogging. Bon, si tu insistes.

- Et ça?

- Un caillou! Non! Vraiment non!

- Mais ça, c’est ok, non?

- Une pièce de puzzle de ton frère, pas une très bonne idée, quand même.

Un chargeur de portable, un pied de chaise, une majorette, une cuillère en plastique, un tambour crevé, un tournevis, un bac à lessive, un sac de courses, un filet d’oranges, un brin de lavande, un jouet de bain, une bouteille et encore ça et encore ça et…

- Attends, attends, Maman, on va où, attends, j’ai pas fini, j’ai encore plein de questions!


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Heloise SimonDernier, progrès