Fluctuat nec mergitur

 

Batailles choisies #346

Une peur de maman qui est bien ancrée chez moi: avoir un enfant préféré - réflexion et déconstruction du mythe de l’amour inconditionnel ❤️‍🩹


 

Depuis presque deux ans, je suis tiraillée par une culpabilité: celle d’aimer moins mon deuxième fils que mon premier. 

Je me dis que je l’ai tellement détesté pendant les longs confinements que j’ai peut-être fini par casser quelque chose dans mon lien avec lui. Je me sens moins proche de lui et j’ai l’impression d’avoir eu au même âge une proximité plus grande avec mon aîné. Milieu m’est plus inaccessible, je ne sais pas toujours par quel bout le prendre. 

Et si j’en avais fait un enfant qui sait qu’il n’est pas le préféré?

Celui qui, dans la fratrie, se sait moins aimé, alors même que je ne l’aime pas moins. Celui qui voit des traitements de faveur dont je ne me rends pas compte. Celui qui va grandir avec ce trou dans le cœur?


Pendant presque deux ans, j’ai été taraudée par ces questions.

Depuis quelques semaines, elles ont trouvé des réponses.

Parce que, depuis quelques semaines, j’apprécie beaucoup la compagnie de Milieu. Je le trouve chou avec son air vif et coquin, il fait preuve de tendresse, il a grandi soudainement, exprime ses opinions et ses désirs avec plus de clarté qu’en se roulant par terre. J’ai le sentiment d’avoir trouvé par quel bout l’attraper: les activités que je lui propose ne sont plus dédaignées, le temps passé avec lui n’est plus subi.   

Quant à Grand, il est dans un âge que j’appellerai… l’âge crétin. Plein d’une brusquerie maladroite, passant son temps à dire caca-prout-pipi, alternant les sessions où il fait le clown et de très longues sessions de bouderie têtue, eh bien, j’aime un peu moins sa compagnie, certains jours. Je ne sais parfois plus par quel côté l’attraper.

- Euh, chéri, tu t’occupes de Grand, je vais faire un jeu avec Milieu?


Je me sentais coupable de ne pas aimer inconditionnellement mon deuxième, de ne pas être cette mère qui aime toujours ses enfants de manière équilibrée, dont le lien est également facile avec tous.

Mais est-ce que cette image n’était pas, en fait, inatteignable? Ou plutôt: fausse? 

Je repense à Orna Donath qui, dans Le regret d’être mère, écrit qu’il est essentiel “d’appréhender la maternité comme une relation humaine parmi d’autres, et non comme un rôle ou un royaume sacré”.

Peut-être que ma culpabilité envers Milieu était enflé par cette vision du “royaume sacré”, par le sentiment de mon incapacité à en être reine. Car je gagne à voir ma relation avec mes enfants non comme un lien inné, mais comme une relation qui fluctue, s’apprend, se travaille, comme toutes les autres relations humaines, en fin de compte.

Ça ne change pas qu’une relation qui a commencé à la naissance et se poursuit toute la vie est fondatrice, solide, unique: mon amour de mère n’a pas besoin d’être figé pour être réel.

J’aime mes enfants mais je suis aussi une personne, avec ses goûts malléables ou figés, avec ses affinités changeantes, avec son éducation à l’amour de l’autre. Et mes enfants sont eux-aussi des personnes dont les goûts évoluent, dont les affinités changent, qui s’éduquent à s’ouvrir à l’autre. Mes liens à mes fils s’enlacent autour d’intérêts communs, se délacent sans casser ou s’étirent avant de se renouer. 


Sur les flots agités de la vie de famille, mon amour maternel glisse comme sur une mer d’huile, bourlingue, ballote ou tangue, mais il ne sombre pas.


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