Fantômes

 

Batailles choisies #571

Saviez-vous que notre maison est hantée? 👻


 

Il y avait des chaussures qui traînaient dans le salon. Elles ont été ramassées et remises dans les paniers à chaussures de l’entrée. Les vêtements ont été lavés, séchés, pliés et rangés. Le dîner a été préparé, la table a été mise, les verres d’eau ont été remplis, la table a été débarrassée, les grains de riz ont été balayés et mis à la poubellela, la flaque de jus d’orange a été épongée. Les Legos ont arrêté de joncher le sol. Les peluches ont été enlevées du salon et remises en tas sur le meuble du couloir.  

Insouciants, mes enfants s’amusent à sauter sur le canapé en se lançant des coussins. Nos remontrances, évidemment, fusent comme les-dits coussins. Des verres de jus leur sont amenés, des goûters leur sont préparés, et rien, pas un merci pour les gentils Caspers qui leur servent de parents.  


Nos garçons, de toute leur ingratitude d’enfant, n’ont aucune idée que derrière eux, derrière leur bazar, leur souk, leurs affaires, leurs restes de nourriture, assiettes sales et dessins moches, passent Papa et Maman. Que, bien qu’on insiste tout le temps, à force de demandes gentilles ou de remontrances exaspérées, qu’ils mettent la main à la pâte et rangent, ils semblent n’avoir aucune idée qu’il existe dans leur vie des petits esclaves qui passent ici et là et s’occupent de tout, dans l’ombre, des elfes de très mauvaise humeur qui rangent et font le maximum quand, eux, font le minimum.


Si, bien sûr, ils font, de temps en temps, du haut de leurs quelques années, des efforts. Ils ramènent une assiette, ils remettent une chaussure dans le panier de l’entrée, ils lancent un pantalon au panier de linge sale avant de se relancer dans la bataille de coussins qui, ils le savent, va terminer sous peu. Le pire, je crois, pour Papa et Maman, c’est quand ils nous ignorent superbement, ou font semblant de ne pas écouter nos questions pleines d’un ton serviable et obligeant, euh, Milieu, préférerais-tu yaourt ou fruit en dessert, pour finir par les obliger, eh, Milieu, tu réponds, yaourt ou fruit, en dessert? Grand, il reste des verres à débarrasser!


Parfois, on est épuisé que nos présences-fantômes soient si invisibles. Mari, souvent, insiste:

- Mais enfin, les garçons, vous laissez traîner vos pyjamas, tous les jours c’est moi qui les ramasse, hein! Vous croyez que ça se fait tout seul!

Moi-même me retrouve face aux vêtements par terre devant la douche, aux serviettes mouillées en boule sur les lits, aux chaussures dans l’entrée, et dois batailler pour tout. Je finis par choisir mes batailles, bon ils ont rangé les Lego, tant pis, ils sont enfin au lit, je ramasse les serviettes.


Ce soir, alors que les enfants sont couchés, que Papa et moi avons réussi à ranger la cuisine, le salon, les goûters et les sacs à dos, et qu’on n’est presque prêts à redevenir nous-mêmes, à ne servir personne, Milieu de sa petite voix angélique mais dictatoriale, dit:

- J’ai soif! Je veux de l’eau!

Grand, qui est d’humeur joviale, répond d’une voix d’adulte jouant l’étonnement:

- Eh alors, Milieu, tu crois qu’il y a quelqu’un, là, qui va faire les choses à ta place? Tu crois vraiment qu’à la maison on a un fantôme?


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣