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Le grand vide
 

Batailles choisies #518

C’est quel genre de gouffre quand son bébé de bientôt deux ans hurle à la mort au moment du coucher? L’abîme sans fond d’une âme abîmée. 👥


 

Dernier pleure. Ce sont les pleurs stridents d’un bébé en colère, au milieu d’une crise que j’essaie de calmer depuis un long, très long quart d’heure. Dernier hurle. Ses pleurs s’apaisent, pour me donner un peu d’espoir avant de mieux l’éclater en mille morceaux quand ses cris reviennent plus forts, s’approchent comme une sirène de malheur. Ils se taisent de nouveau, faisant croire que ça y est, c’est bientôt la fin de mon calvaire… puis ils repartent, plus aigus, plus terribles. J’aimerais dire que je sais calmer mon bébé, que je sais calmer mon troisième enfant. J’aimerais être pleine de ressources, d’idées, de patience, d’amour. J’aimerais ne pas en être à cet état de désespoir, de désolation. Mais je ne suis que figée, impuissante, de plus en plus vide.


Mon corps, mon esprit et mon amour ont enduré une semaine de mauvaises nuits et de levers aux aurores. Avant cela, ils auront enduré bientôt deux ans de nuits hachées, de pleurs, d’améliorations lentes, traînantes, infinies, de sommeil de Dernier. Avant cela, ils auront supporté bientôt sept ans, depuis la naissance de mon fils aîné, de trop de nuits sans sommeil réparateur, de trop de pleurs qu’il faut calmer alors que je veux juste fuir, d’emprisonnement à aimer alors que je hais mon travail de mère. Puisque mon corps, mon esprit et mon amour ont supporté tout ça, cahin caha, je ne le supporte plus. Je ne supporte plus de devoir endormir un bébé. Je ne le supporte plus, physiquement. C’est physique. Il ne tète plus mais, cherchant encore le réconfort de mon corps, il me tripote les seins, m’attrape les tétons, cherche de l’amour alors que, pour lui, je n’ai que de la colère


Pendant que je m’efforce de rester assise sur le lit, pendant que je m’efforce de rester calme, entre un sentiment familier: je sens s’installer le grand vide intérieur. Je ne veux pas être là alors je fais comme si je n’étais pas là. Je reste silencieuse. Je bouge le moins possible. Je n’existe pas. Sauf que Dernier ne veut pas d’une maman qui n’existe pas: il veut sa maman de d’habitude, alors il pleure, crie, hurle. Je n’ai pas de rescousse ce soir puisque Mari est, pour une fois, alors que cela fait des semaines qu’il se farcit les dodos de Dernier, sorti.

Ma technique de ne pas être là est un mécanisme de dissociation. Je préfère le grand vide à ce qu’il cache, la frustration, la colère, la rage, la violence.

Rester vide, ou j’ai peur de hurler.

Être vide à l’intérieur, ou j’ai peur de frapper.

Taire ma détresse, la noyer dans le vide, parce que je ne peux pas, ce soir, dire à Mari que je ne m’en suis pas sortie, alors qu’il en est libéré. 


Dernier finit par s’endormir, d’épuisement, de résignation, de simple fatigue, peut-être, car je suis sans doute un peu dure avec moi-même. Dès que les yeux de Dernier se sont fermés, je sens se remplir doucement mon réservoir d’amour. Il était tellement à vide que je doute qu’il se remplissent et que je ne peux que supplier que Dernier ne se réveille pas, parce que je ne sais si, cette nuit, il sera assez plein pour supporter encore une mauvaise nuit de bébé.

Je suis usée, vide.

Pitié, pitié… un peu de bonté d’âme pour une mère qui n’en a plus.


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La fête du printemps
 

Batailles choisies #505

Le premier jour du printemps, ça se fête, non? 🤒


 

Teuf.

Teuf.

Teuf.

Demain matin, c’est le premier jour du printemps, jour si attendu, si porteur d’espoir, si proche des vacances, du beau temps, du bon temps.

Mais quel beau cadeau nous a donc apporté le printemps? Et quelle belle fête nous a-t-il préparé?


Teuf.

Teuf.

Grand a eu de la fièvre tout le week-end.

Milieu a une toux carabinée.

Dernier a le nez pris.

BONNE AMBIANCE!

Teuf. 

Teuf.

Il est 23 heures et déjà Dernier s’est réveillé trois fois en pleurant, Grand a crié dans son sommeil, Milieu a toussé mille fois.

Teuf.

Teuf.

EST-CE QUE VOUS ÊTES CHAUDS?

Vers minuit, je passe dans le lit de Dernier, qui est bouillant, essaie de le tranquilliser, je vais chercher le doliprane, me lève en laissant Dernier hurler, entends Milieu se mettre à pleurer et croise Mari qui s’en charge, descends, remonte, donne le médicament, tente de calmer Dernier, échoue, échange avec Mari, tente de calmer Milieu pendant qu’il tente de calmer Dernier. La nuit va être très longue.

Teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf 

Vers deux heures, Milieu a une quinte de toux terrible qui réveille tout le monde, alternativement l’un puis l’autre son contraire et mon troisième. Rien à faire, le docteur a dit que la toux durerait plusieurs jours et que ce ne serait pas vraiment la fête, les premières nuits.

LA MUSIQUE EST BONNE?

Depuis cinq heures, dans le bleu du soir, le noir de la nuit et le gris du brouillard, Mari et moi dansons de l’un à l’autre des malades, moucher Grand, caresser Milieu qui geint de gêne dans son sommeil, rendormir Dernier que l’agitation dérange, tiens, vas avec Milieu, il te réclame, je m’occupe de Dernier, on échange?  

Teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf

ENCORE UNE DERNIÈRE!

Vers quatre heures, je suis couchée dans le lit avec Milieu sans espoir de fermer l’oeil car toutes les deux secondes, il me tousse au visage alors je me retourne et il me tousse dans le cou, alors je me mets sur le côté mais il me tousse dans l’oreille et moi les teuf teuf, je ne peux pas je ne peux pas dormir, c’est pire qu’un ronfleur, un tousseur!

Teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf teuf

ALLEZ, M’SIEURS DAMES, ON FERME!

Vers six heures, la lumière et les pépiements d’oiseaux m’informent que la fête est bientôt finie. Bientôt, en effet, la toux s’est calmée, les nez se sont mouchés, les fièvres ont baissé.

Le matin s’annonce. 


Ça y est, c’est le premier jour du printemps.

Merci, printemps, pour nos têtes de sorties de soirées, de lendemain de fête

Cette nuit, on a eu une sacré teuf.


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