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Le meilleur film du monde
 

Batailles choisies #193

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En deux mots:

Grand voudrait vous recommander le meilleur film du monde, qui s’apprécie avec des marteaux à la place du pop-corn.


 

Des artisans sont en train d'abattre le toit de la terrasse à grands coups de marteaux. Demain, ils monteront à sa place une pergola. 

Il est 14 heures, il fait trente-cinq degrés. Petit est rentré de la crèche, le déjeuner est fini, les enfants me demandent à aller dans le jardin

-Le problème, les bichous, c’est qu’il n’y a plus du tout d’ombre, comme le toit est presque entièrement démonté.

-Mais si Maman, regarde, juste là, si tu sors par la cuisine, on peut se mettre sur la table dans le coin, elle est à l’ombre.

C’est vrai. Allez les enfants, on s’installe. Vous voulez un dessert? 


Les garçons regardent travailler les deux artisans. Ils écoutent, avec la même attention qu’au théâtre, les marteaux tomber sur les poutres fatiguées. Ils me disent, me chuchotent comme au spectacle, regarde, ils ont déjà fait tomber la moitié du toit! Ils lèvent délicatement leurs cuillères de yaourt jusqu’à leur bouche, sans quitter des yeux les gestes précis et bruyants des deux messieurs.

Sur leurs visages, se lit l’air concentré, l’intérêt extrême.


Je me suis excusée auprès des artisans, je vous impose des spectateurs, ils sont très curieux, voyez-vous! 

Ils se sont récriés, non, mais ne vous en faites pas!


Je réprime ma gêne et mon sourire de voir mes enfants ainsi absorbés, plongés dans un silence révérencieux, plus hypnotisés que s’ils regardaient la télé.

Silence ravi.

Coups de marteaux.

Bruits de matériaux qui s’écrasent.

 

Grand finit par se tourner vers moi et me dit: Maman, c’est le meilleur film du monde!


Et puis, pour me jeter par-dessus bord d’amour, de fierté et de pincement de honte de regarder ainsi travailler des artisans sous un soleil de plomb, Petit, après avoir gardé longtemps le silence, lève soudain sa main gauche puis sa droite, puis se met doucement d’abord et rapidement ensuite à applaudir.

À cet applaudissement esseulé se joint immédiatement celui de Grand, qui crie également: bravo!

Les deux ouvriers et moi-même éclatons de rire, les enfants encouragés par cette approbation tapent des mains de plus belle. 


Chapeau, les artistes!

 
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D’autres batailles ⭣

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Heloise Simontravaux, rire
La grande bourgeoise intérieure
 

Batailles choisies #167

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En deux mots:

C’est quoi votre plus grand rêve de bourgeoise? Quelle voiture? Quelle marque de canapé? Moi c’est rénover la cuisine. C’est quel émoji quand on réalise ce rêve plein de culpabilité?  


 

Aujourd’hui se concrétise un rêve complètement bourgeois et matérialiste, qui remplit mon petit cœur de joie et dont j’ai un peu honte. J’ai d’ailleurs honte qu’il remplisse autant mon cœur de joie: on refait la cuisine à la maison.


Oh, l’adolescente que j’étais en frémit de bonheur… J’ai passé mes années de jeune fille à regarder des magazines de décoration, à tourner les pages glacées d’un air gourmand, des salons accueillants, des salles de bain sobres, des cuisines champêtres, des cuisines modernes, des cuisines aux décorations savamment dépareillées, des cuisines dans des tons ocre ou bleu pétrole, des cuisines qui sont éclatantes, qui étincellent, qui brillent, des cuisines avec invités bien habillés, avec des couples amoureux, avec des enfants qui ne tachent pas, des cuisines, des cuisines, des cuisines


Cette rénovation ne faisait pas partie de nos plans immédiats, mais une réparation petit budget urgente, un changement de plaques électriques, une chose, une autre, devis, bon ben, puisqu’on en est là, on pourrait faire quelques modifications? De fil en aiguille, on se met d’accord sur une rénovation presque totale. 

Mon mari se moque de moi, se sent gentiment arnaqué, pas sûr que ta cuisine soit à la hauteur de la cuisine, et puis c’était une toute petite modification qu’on voulait faire et tu m’as fait passer en douce les huit artisans qui font un vacarme de tous les diables en bas.


Mais j’y pouvais quoi, moi? J’y pouvais quoi si le monsieur avait une mallette pleine d’échantillons de plans de travail, plus éclatants les uns que les autres, et qui, je vous assure, Madame, sont de première qualité? J’y pouvais quoi s’il avait un téléphone plein de photos de rénovations qu’il avait faites? 

Je suis innocente votre honneur! C’était comme regarder un catalogue de ma jeunesse…  

Innocente autant que je me sens coupable, vu l’état du monde, que ça m’apporte autant de réconfort. 

La rénovation de la cuisine me ramène à plein de choses que je ne devrais pas être, je devrais être plus féministe, moins attirée par les sirènes de la maison parfaite, je devrais être moins matérialiste, passer plus de temps à lire des essais qu’à chercher les objets de déco qui iraient parfaitement dans ce coin, là, ou dans celui-ci...

Ça me ramène à des complexes d’artiste, des syndromes d’imposteuse qui refont surface. Ai-je le droit d’être une écrivaine et de rêver la nuit de couleurs de placards et de tiroirs coulissants? Je pense à Hugo, Neruda, à d’autres écrivains pour qui la maison était une quête de beauté comme une autre. Je pourrais me réclamer d’eux, me cacher derrière eux, même si je doute que mes choix de matériaux qualifient comme construction d’un soi poétique hors de soi…


Je m’entends même dire, non, non, n’écris pas ça sur ton blog, c’est la honte quand même d’être aussi bourge, je me le crie intérieurement!

 

Mais qu’il est doux, ce vacarme des travaux, comme un casque anti-pensées, ce bruit de tous les diables d’une belle cuisine de catalogue en train de naître.

 
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D’autres batailles ⭣

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Heloise Simoncuisine, travaux