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Rayons de soleil
 

Batailles choisies #646

Après la pluie. 💧


 

Il a plu comme rarement, ces derniers jours. Des journées entières de grosse pluie épaisse alors qu’à la même époque l’année passée, en cet automne chilien d’habitude si sec, il faisait grand soleil et 20 degrés. 


Bottes aux pieds, anoraks sur le dos, les trois enfants et moi rentrons de l’école. Sur ce chemin du retour quotidien, chacun est dans ses pensées et son petit monde. Milieu fait des figures avec sa trottinette, Dernier s’amuse à grimper sur un monticule de terre où il peut slalomer entre des arbustes, Grand s’amuse à malaxer une petite peluche pendue à son sac à dos.


Et moi? Je pense à cette vie que j’ai. Je pense à cet automne du mois de mai. Je pense aux arbres qui vont bientôt perdre leurs feuilles. Je pense à cette chance que j’ai. Je pense au printemps et aux belles journées que ma famille retrouve, là-bas, à l’autre bout du monde, en France, et je pense à ma tante qui vient de mourir.


Hier soir, j’ai annoncé à Grand que ma tante, sa grand-tante, était décédée. Il est le seul de mes enfants à avoir passé du temps avec elle, lors d’un bref séjour parisien il y a deux ans, il est le seul à avoir d’elle des souvenirs de moments partagés. J’ai annoncé cette triste nouvelle sans doute un peu maladroitement, je ne sais pas… je l’avais pourtant pris à part à la fin du dîner mais j’ai été prise de court et émue par la réaction de mon fils, ce chagrin immense et envahissant, une peine débordante, tremblante, qui m’a mouillé le cœur comme les grosses larmes que mon fils y a posé en cherchant un peu de réconfort.  

Et puis la vie de famille a repris son cours, mon Grand a séché ses larmes, la peine est restée en l’air.


Sur le chemin de l’école, la pluie a cessé. Je me dis qu’il n’y a pas de mauvais moment pour parler de la mort, pour laisser crever ce nuage qui plane au-dessus de nous.


Tu sais, ma Tata aimait beaucoup regarder le jardin baigné de soleil, là où elle était. 

À Paris?

Oui, dans un hôpital spécial pour les gens comme elle, qui étaient très malades.

Et Maman, quand on meurt, on va où?


Grand et Milieu se rapprochent et commencent à m’inonder de leurs questions, franches et ingénues. Dans nos pas, on laisse de curieux mots, les crémations, les enterrements, les cérémonies, les paradis, les enfers, les dieux, les mensonges blancs qui ne nous font pas aller en Enfer, mon Chéri, mais non, enfin, nos souhaits si on vient à mourir, et toi, mon chéri, qu’est-ce que tu aimerais si ça t’arrivait?


Les nuages s’écartent et un doux soleil nous caresse. C’est un bel instant, que nous vivons là. Une conversation douce, alors que sombre, douce parce que simple, complice parce qu’ouverte.

 

Est-ce le moment de parler de tout ça? Je ne sais pas.

Je crois que c’est le moment parce que les enfants veulent savoir. 

Et que la mort fait partie de la vie. 

Et qu’il y a quelque chose d’évident à parler de la vie lorsque les nuages ont déjà crevé et qu’ils laissent leur place à des rayons de soleil.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Glissements
 

Batailles choisies #511

Voir glisser le bonheur d’entre ses doigts. 💧


 

On parle de “glissement” quand une personne, souvent une personne âgée, n’a plus d’étincelle de vie, quand plus rien ne l’éveille, ne la fait sourire, quand, enfin, elle donne l’impression qu’elle est en train de se laisser mourir, de glisser vers la mort


Ma grand-mère est malade depuis des années. Ma mère lui rend visite tous les jours ou presque et lui apporte des étincelles de vie: des goûters savoureux, une sortie dans la nature, une douce conversation. Sa santé, mentale d’abord, physique ensuite, a décliné lentement mais sûrement. Elle se bat maintenant avec une bronchite et, pire, le Covid - qui veut dire isolement, qui veut dire suspension des gâteaux au chocolat, des feuilles agitées par le vent, des voix connues et parfois reconnues - qui veut dire suspension des étincelles de vie. Ces prochains jours, peut-être car rien n’est moins sûr que la mort, et ma grand-mère, à 95 ans, en a vu d’autres, ma maman a peur que sa mère, ainsi seule, éteinte, entourée de silence, sans douceur, ne glisse


- Nous allons devoir reporter notre séjour avec vous, m’apprennent mes parents, sous le choc.

- Oui, je comprends, bien sûr. Laissez-vous le temps de voir comment se porte Grand-Mère. 


À la peur de ma maman, au départ, peut-être, de ma grand-mère, se joignent d’autres glissements car, soudain, tout nous échappe et file entre nos doigts. Mes parents avaient fait leurs valises. Mes enfants comptaient les jours avant que Papi et Mamie n’arrivent. J’allais passer de beaux moments, retrouver ma famille, j’allais oublier que je vis si loin. Nous allions rire et lire et chanter et nous reposer et sortir et construire de l’amour entre parents, entre parents et petits-enfants et mettre beaucoup de crème solaire et manger des glaces et faire du vélo. Et non. J’essaie de faire taire mon égoïsme, bien sûr, il y a plus grave, vraiment plus grave… mais il se fraie un chemin dans mes pensées, et avec lui, si se faufilent des sourires tristes pour cette grand-mère, lointaine depuis longtemps, filent surtout, à cent à l’heure, des inquiétudes pour mes parents, les grands-parents de mes enfants. 


Mes parents sont en bonne santé, mais peut-être… bientôt… seront-ils trop âgés pour entreprendre un si long voyage? Mes parents venaient nous voir souvent, c’était une chance! Mais peut-être… bientôt… ne vais-je devoir me résigner à la distance? C’est au moment où ils allaient être si près qu’ils nous échappent et que se rappelle à moi la réalité: je vis au bout du monde, mes parents avancent en âge, l’absence de prise est notre norme, pas une exception. Et si, désormais, chaque séjour était suspendu (à la santé, au temps, aux moyens)? Et si, désormais, j’étais comme ces amis expatriés qui ne voient leur famille que quelques fois par décennie? Et si, désormais, mes enfants allaient grandir sans les douces lectures et les blagues de leur Mamie, sans les notes de guitare et les jeux de leur Papi? La vie glisse chez tout le monde et nos rivières ne se croisent pas toujours

 

J’ai passé une soirée à glisser et puis des conversations avec mes parents ont retenu mon dérapage. Leur séjour est simplement reporté et rien ne sert de se laisser emporter ainsi. Au contraire, mon p’tit cœur, il faut toujours retenir le filet d'eau qui coule entre tes doigts. Ta grand-mère se porte mieux. On a déjà modifié les dates de nos billets. Il faut toujours accueillir dans ta paume une goutte d’espoir.


Batailles en vrac⭣

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