Insupportable
 

Batailles choisies #418

Ces moments où être mère vous est profondément, absolument, viscéralement, insupportable - et comment en sortir. 💅


 

Dernier approche doucement sa petite main de mon sein gauche. Ses ongles sont trop longs, des jours que je veux les couper sans trouver le moment, et il griffe légèrement ma chair. Je prends une grande respiration. Je sais ce qui vient. Les ongles pointus passent sous le soutien-gorge, m’écorchant au passage, avant d’attraper ce qu’ils cherchaient avec ce tâtonnement cruel: le téton. Je respire encore un grand coup. Dernier se met à malaxer mon téton, le tirer doucement dans un sens ou dans l’autre, le caresser, le pincer. J’ai horreur de ça. Ça me hérisse. Je prends de grandes inspirations silencieuses pour ne pas l’enlever violemment du sein et partir en claquant la porte, ce qui ne servirait à rien. Je le sais - d’expérience. Mais, à ce moment-là, il m’insupporte. Être mère m’insupporte. Être mère m’est intolérable.  


C’est la quatrième, cinquième ou sixième fois, je ne sais même plus, qu’il se réveille cette nuit. Il est probablement deux heures du matin, ou bien trois ou bien cinq heures, je n’en ai aucune idée. J’ai enchaîné les nuits comme ça les jours passés. Ça m’insupporte d’en être encore là, avec ce sommeil si troublé, alors que je travaille dur à respecter ses rythmes de sommeil, alors que je suis de mon mieux les instructions de la conseillère en sommeil. Ça m’insupporte.


Je dois tout contenir, tout garder en moi, taire ma frustration d’être là, des nuits entières éveillées, des nuits entières tétée. Me taire est la meilleure solution parce que je sais comment finissent les coups de sang que j’ai déjà eus: les autres enfants se réveillent, je fais des insomnies dues à la culpabilité que je ressens de m’être fâchée. Mais me taire m’insupporte. Garder tout sous contrôle m’est insupportable. Vivre sur le fil, tâchant de ne pas faire vaciller les rythmes des uns et des autres, m’est, cette nuit, intolérable. Je ne veux pas être là, je veux partir. 


Ça s’arrête quand d’être dans ce don constant, dans ce sacrifice de ma santé physique et mentale? À quel âge? Quel beau jour dois-je attendre pour dormir la nuit? Je veux juste qu’il dorme, je veux juste dormir moi aussi, je veux juste que, pendant un temps, je ne sois plus prisonnière de ses câlins griffus. Marre qu’il se réveille en chouinant à chaque fois. Ces cris de bébé qui percent la nuit me hérissent. 


Dans mes entrailles, je cherche de quoi me sortir de ce mauvais pas. Tout au fond de moi, ce n’est que colère rentrée, il y a bien peu de tendresse pour m’aider à passer le cap. À cette heure, à ce niveau de fatigue, c’est la grande sécheresse. Il m’insupporte. Je ne veux pas être mère.


Et je ne trouve, pour supporter ces caresses insupportables, qu’une solution: supporter encore un peu et attendre qu’il s’endorme.


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Au cœur de la virilité des garçons
 

Batailles choisies #417

Plongée dans le cœur de l’injonction à la virilité des garçons: mon fils choisit des activités périscolaires. 🧘


 

S’il avait été une fille, on aurait dit: “Tu veux faire du yoga? Oui, bien sûr!”

S’il avait été une fille, on encouragerait son goût pour les bouquets de fleurs.

S’il avait été une fille, on ne lui demanderait pas si souvent s’il a des amis garçons. 

S’il avait été une fille, on ne trouverait pas inquiétant qu’il soit surtout ami avec des filles de son âge.

S’il avait été une fille, on encouragerait son goût pour la peinture, le dessin, les livres, toutes les activités d’intérieur qu’il affectionne.

S’il avait été une fille, on n’insisterait pas lourdement sur les jeux sportifs, je suis sûre que tu aimerais, regarde, du foot ou du karaté?


Seulement, mon aîné est un garçon.

Et mon aîné choisit une activité périscolaire: 

- Grand, est-ce qu’il y a une activité qui t’intéresse? Écoute, il y a: jeux sportifs, karaté, musique, football, yoga…

- Yoga! s’exclame-t-il.

Alors, on s’inquiète.

- Tu comprends, il aime déjà la peinture et les fleurs, ce serait vraiment bien qu’il fasse des activités plus… de groupes, pas juste des activités solitaires.

- Yoga, s’exclame-t-il encore!

- Ben, c’est avec d’autres enfants, je dis. C’est bien, non?

D’un côté, j’ai envie de le laisser choisir ce qu’il aime. Je ne vois pas ce que ça apporte de l’obliger à faire du karaté. D’un autre, je comprends et partage ces inquiétudes: Grand est souvent observateur d’un jeu ou organisateur, mais plus rarement participant enthousiaste; il aura passé une année scolaire entière de pandémie, confiné chez sa grand-mère, avec pour seule amie la petite voisine; il nous dit parfois qu’à l’école il regarde les filles jouer entre elles et ne jouent pas avec les garçons parce qu’ils ne font que du foot. 

Alors, yoga, point d’exclamation, c’est un caillou supplémentaire dans la chaussure parentale.


Je suis malgré tout persuadée que ces inquiétudes parlent de notre vision de la virilité, de notre apprentissage de la virilité pour les petits garçons. Que la peinture, les fleurs, le yoga, c’est bien… mais qu’il lui manque quelque chose. Qu’il ne sera pas un garçon complet s’il n’est pas comme les autres garçons. Qu’il leur sera toujours un peu inférieur. Qu’être ami avec des filles, c’est bien, mais qu’il faut absolument avoir des amis garçons, qu’il doit être capable d’entrer dans un boy’s club, n’importe quel boy’s club. Et cette injonction s’adresse aux garçons. Dirait-on à une fille qui veut faire de la peinture et du yoga : mais tu ne veux pas t’inscrire aussi au rugby? 

J’essaie de rationaliser, d'empêcher mes inquiétudes et mes propres stéréotypes polluer ce qui m'importe : que mon fils soit un garçon bon et équilibré. J’ai envie qu’il ait des amis et des amies, une vie sociale pleine de joie, qu’il sache dire ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas, qu’il sache se dépasser, se pousser parfois dans ce qu’il n’aime pas si ça le fait grandir. Je ne suis pas inquiète qu’il lui manque quelque chose, je vois plutôt ce qu’il apprend, ce qu’il devient. Mais je m’inquiète qu’il vive dans ce monde si le monde ne le voit pas comme je le vois, moi: un petit garçon plein de vie, de joie, de curiosité, avec des goûts déjà définis, mon fils aîné chéri dont je suis sûre qu’il a beaucoup à donner au monde, sans les gros biscotos et avec un beau bouquet de fleurs. 

Namaste.


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