Dernière
 

Batailles choisies #530

Pour son dernier jour de crèche, Dernier va bien nous faire une dernière maladie, non? 🔚


 

Dernier jour. 

Je redoute un peu les deux semaines de fermeture de la crèche durant les congés de Noël… ai-je dit “un peu”? Non, je veux dire “beaucoup”. Je n’ai aucune envie de passer mes journées à courir après mon marmot, à lui dire constamment non, à me creuser la tête pour l’occuper - occupation qui ne durera que dix petites minutes. Je n’ai pas envie mais je n’ai pas le choix

Dernier jour de crèche.

Chaque minute de liberté jusqu’à ce que je me coltine Dernier est précieuse. 

Dernier jour.

Sans doute les bonnes mères iront-elles chercher leur enfant plus tôt. J’irai, quant à moi, le chercher à la fermeture.

Dernier jour et je vais travailler toute la journée.

Mais Dernier a bien envie de me faire un dernier petit cadeau.

Il se lève d’humeur chouineuse, d’humeur réclameuse, d’humeur mi-fiévreuse.

Une dernière fièvre.

Évidemment.

Baiser d’au-revoir à l’année, non? 

Il a dû attraper un peu froid, il doit couver un petit rhume. 

Et? Quoi? Le laisser me pourrir ma dernière journée de travail tranquille avant le mois de janvier? 

Hors de question.   

Allez, pour la dernière fois de l’année, tu auras bien droit à une dernière goutte de doliprane, qui te maintiendra d’humeur correcte jusqu’à ce soir, les ass-mats n’y verront que de feu.

Je ferai taire, pour la dernière fois, ma culpabilité de mauvaise mère, et lui donnerai un médoc plutôt que de le laisser à la maison.

Lui et moi boirons la crèche jusqu’à la dernière goutte.


Allez, vers ma liberté!

Je laisse mon petit dans les bras de l’ass-mat.

Dernier mensonge de l’année: tout va très bien, oui, Dernier est en pleine forme. Il est un peu grognon, je ne sais pas vraiment pourquoi.

Dernier jour entier pour moi, pour mon travail.

Dernière fois que je regarde avec une nervosité palpable mon téléphone dès qu’il sonne ou bip, dès qu’il pourrait annoncer l’appel tant redouté.

Dernier bout d’année normale avant les vacances.


Je n’aime pas bien les vacances qui, avec trois enfants, avec Dernier, ressemble moins à des vacances et plus à mes derniers instants de santé mentale.

Allez, dernière fois que je me dépêche pour arriver à une heure qui ne me fera pas passer pour la pire des mères.

Dernier me voit à travers la vitre et me fait le plus beau des sourires.

L’ass-mat et moi échangeons pour la dernière fois des paroles polies et des ça va, ça a été.

Bon, il a tenu son dernier virus et son dernier jour.

Dernière sortie.

Dernier se met à chouiner, refuser, renâcler. Il faut déjà sortir les meilleures stratégies pour aller à la voiture.

Elles vont être longues, les dernières semaines de l’année…

Clap de fin d’esprit tranquille.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise SimonDernier, crèche
Pause
 

Batailles choisies #529

Une soirée et une nuit en amoureux avec son homme, sans enfant. Miracle.  ⏯


 

Et Milieu n’a rien mangé? Tu as changé la couche de Dernier? Attends, Grand, on arrive! Non, mais enfin, les enfants, jouer avec les coussins, combien de fois, on vous a dit, c'est pas des jouets! Qu’est-ce qu’il chouine, Dernier… il doit être fatigué, il faut se dépêcher et ne pas rater le train de la sieste, allez, le déjeuner, vite, vite, les enfants, on se presse!


Pause.


La course dure depuis bientôt sept ans. Bientôt sept ans que nous sommes parents, qu’on court tout le temps, partout, qu’on voit sans cesse s’éloigner la ligne d’arrivée qui se moque de nous en méchant mirage. Bientôt sept ans qu’on est parents, d’abord parents, toujours parents, que pas une seule seconde on n’arrête, que jamais on n’a eu l’occasion de passer une soirée, encore moins une nuit, encore moins un week-end juste tous les deux. On en a tellement besoin! On aimerait tant!


Une pause!

Oh, une pause!


Rewind.

Ça ne s’est jamais fait, en sept ans. On a bien essayé une fois, quand on n’avait que Grand, mais la soirée a tourné à la catastrophe, le petit désespéré nous appelait éploré, abandonné comme un orphelin, la grand-mère désespérée nous a appelé et au milieu de la nuit, on a fait le check-out de l’hôtel et on est rentrés soulager enfant et Abuelita.

Après cet échec, les étoiles ne se sont plus alignées: Grand était suffisamment grand, mais Petit était trop petit; puis le confinement en a demandé beaucoup à ma belle-mère et il nous semblait trop délicat de lui en demander encore un peu plus; puis Petit est devenu Milieu et Dernier était trop petit; puis, nous sommes parents de trois enfants, trois enfants jeunes, bruyants, chamailleurs, qu’on n’offre pas comme un cadeau - mais qu’on prête en promettant de revenir les chercher très très bientôt. 


Pause.

Ce week-end est notre anniversaire de rencontre avec Mari (17 ans!) et mon anniversaire (38 ans!). Ma belle-mère a décidé que non, décidément, on ne pouvait pas, encore une fois, encore une année, ne rien faire. Je viens chez vous, je m’occupe des enfants. Vous passez le week-end à Santiago. 

Pause.

C’est bien vrai?       


Pause.

On s’enfuit en catimini de la maison. Dans la voiture, il n’y a que silence, soleil, douceur. Plus de cris ni de demande ni de chouineries. On ne va pas bien loin, au cas où bis repetita: à la capitale, Santiago, si près de notre banlieue, si loin de notre vie pressée dans laquelle la moindre sortie est une montagne. Mais puisque les enfants ne sont pas avec nous, on peut profiter de la vue sur la Cordillère des Andes, sous un splendide ciel d’été.  


Pause.

Un restaurant pour le déjeuner.

Un massage en cadeau pour mon anniversaire.

Un restaurant pour le dîner.

Une chambre au onzième étage.


Pause. 

Cela faisait si longtemps que je n’avais pas ri autant avec Mari, si longtemps que nos discussions ne se font qu’en courant, nos projets en marathonant, nos disputes en passant. Un moment sans les enfants nous offre un beau cadeau: retrouver l’amoureux derrière le parent.


Pause - c’est la nuit.

J’ai dormi de 23 heures à 8 heures du matin. Quelle grasse matinée!

On se dépêcherait bien pour profiter d’être tous les deux, mais on suspend encore un peu le temps, on ne se presse pas, on se réveille mollement. On n’a rien à faire - incroyable.

Pour faire plaisir à Mari, on part faire une promenade en amoureux chez Ikea - oui, l’amour conjugal consiste à accepter les loisirs de sa moitié avec le sourire de la bienveillance. On se balade dans les rayons, on n’a rien à faire ni rien à acheter vraiment, juste à rêver de ce joli salon, de cette cuisine impeccablement nette, de cette entrée où ne traîne aucune chaussure, de cette salle de bain où les flacons sont en nombre minimal. Mari et moi nous attardons longuement dans le rayon des chambres d’enfants, où des étagères mignonnes avec des boîtes en plastique me font imaginer un lieu où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, silence et gosses bien élevés. Dans cette boîte, les voitures, dans celle-ci, plus petite, les crayons et puis, ce sera plus facile à ranger le soir et… Pause. J'arrête la moulinette du doux rêve: ce sont nos enfants. Même avec les plus beaux Flädrast et ses décoratives boîtes Yülite, les jouets déborderont de partout et ce sera le bordel comme d’habitude.     


Fin d’Ikea.

Pause. 

Encore un peu de temps à deux.

Encore un restaurant.

Bientôt, pourtant, le temps nous rappelle que ce n’était qu’une parenthèse. Il faut refaire les valises, ranger les jolis vêtements et ressortir les fripes spéciales enfants que je porte en continu depuis sept ans. Tout s’accélère, c’est l’avance-rapide jusqu’à la fin de notre moment à deux, jusqu’à notre banlieue, jusqu’au pas de la porte qui, à peine passée, renvoie les cris, bientôt les frustrations, bientôt les disputes. Et le déjeuner? La sieste, ça a été? Grand, tu peux attendre un peu, j’essaie. Milieu, tu n’as encore rien mangé? Il faut absolument trouver un truc pour le faire manger…    


Bon, ben…

Play.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise Simonmari, amour, parenthèse