La belle
 

Batailles choisies #554

Milieu, sa passion pour le football et la vengeance maternelle, plat qui se mange bien frais. 🥅


 

Milieu est, depuis quelques semaines, inscrit à un club de foot. Sa passion pour le ballon rond, née l’année dernière, n’a fait que se cristalliser depuis qu’il a goûté à la joie du gazon synthétique, aux tope-là de la victoire et aux cris d’encouragement que lui garantissent les entraînements du samedi matin. Les rendez-vous avec ses petits camarades du club rythment désormais sa semaine: Maman, c’est demain, le foot? - Non. C’est demain demain? - Non, mon chéri, pas après-demain. - Et après après demain? - Non, mon doux. - Et après? - Oui.

Lorsque, enfin, le “oui” tant attendu, le “oui” annonçant une date tangible pour l’entraînement est dit, les yeux de Milieu s’illuminent - de même que les nôtres. Car si le foot est devenu une passion en or pour Milieu, il est devenu par là-même pour nous une occasion en or. Notre belle, nous la tenons! C’est avec le foot que nous pourrons l’avoir, écris-je dans un rire sardonique… Depuis longtemps, Milieu tient sa revanche sur nous, ses parents. Nous avons voulu être déclarés vainqueurs dans nos différentes batailles, et avons perdu lamentablement: Milieu mange mal. Milieu ne range rien. Milieu, malgré nos remontrances, donne des coups de pied dans tous les objets, jouets, coussins, stylos, qui tombent sous ses pieds parce que pour lui, tous sont des ballons de foot. Milieu ne prend pas soin de ses affaires. Milieu donne des ordres et crie à la place de parler. Bref, Milieu nous tient bien à sa merci, avec son sale caractère, sa tête décidée et ses caprices de bébé de 4 ans et demi.


Sauf que… le foot joue contre toi, maintenant, mon doux Milieu…

- Non, je ne vais pas manger!

- Il faut manger!

- Non, je ne veux pas!

- Milieu, tu as besoin de force pour jouer au foot, samedi. Si tu ne manges pas, tu vas avoir du mal à marquer des buts…

Alors, Milieu, dont le visage prend l’air sérieux de celui qui a compris ce qui est (littéralement) en jeu, se met à manger d’un tactique appétit.

- Milieu, c’est l’heure de ranger les jouets.

- Non, toi, tu ranges. Moi je ne veux pas!

- Mais, Milieu, tu sais, il faut apprendre à ranger, c’est important quand on est dans une équipe, par exemple de foot, de pouvoir ranger l’équipement le plus vite possible…

- Regarde, je range tout très vite!

Il y a donc un espoir que Milieu sache ce qu’est l’ordre? Mais quelle merveille! Aurais-je le droit de pousser le ballon un peu plus loin et de profiter de cette belle occasion de chantage pour lui apprendre ce qu’est la propreté des vêtements?

- Milieu, ton beau maillot blanc! Il doit être propre, sinon tu ne peux pas participer à l’entraînement. Ne te traîne pas par terre, enfin!

Fini Milieu qui se traîne par terre, fini Milieu qui mange salement, fini Milieu qui refuse de se changer au retour de l’école, c’est désormais un Milieu impeccable comme un soldat pour la revue militaire qui se réveille dès qu’il est question de son club. 


Belle technique, non?

Je n’ai pas encore trouvé comment incorporer la corvée de patates à l’hameçonnage footballistique, mais ça ne saurait tarder.


C’est donc un samedi matin presque comme les autres que nous quittons la maison, une maison décidément mieux rangée avec un enfant mieux nourri, pour l’entraînement au club. Milieu, à peine en vue du terrain, court rejoindre les entraîneurs et ses petits camarades. Il participe à l’échauffement avec enjouement, au match avec entrain, avant de passer à sa partie préférée, en toute fin de jeu: les tirs au but. Je n’aime pas bien être là, par une matinée où il fait déjà un peu trop frais à mon goût, sur le bord du terrain à l’ombre, silencieuse derrière des pères qui se croient entraîneurs et crient des trucs type “monte”, “descends”, “plus vite” ou “prends ton temps”. Je ne me sens pas à ma place, mais enfin, je repense à ma maison rangée, à mon fils rassasié, à mes lessives plus aisées, à mon Milieu tout heureux parce que ce sont les tirs au but, et ça va, je me dis qu’on a eu, d’une certaine manière, avec son père, notre belle.


Assis en petit groupe, les joueurs des deux équipes alternent les tirs. Un enfant de l’équipe adverse, une fille de celle du mien, un deuxième enfant, l’autre deuxième puis c’est à Milieu. Il se met debout comme s’il était monté sur un ressort, se place rapidement devant le ballon, recule de quelques pas stratégiques avant que le coup de sifflet ne le lance dans une course décidée, à la fin de laquelle il donne un coup de pied qui envoie, dans la lucarne à gauche, le ballon. But!  


Mais cette balle! Qu’elle est belle!


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise SimonMilieu, foot, sport
Progrès
 

Batailles choisies #553

Où sont donc passés les progrès de mon petit Dernier? ⏫


 

En réfléchissant à mon blog il y a quelques jours, je me suis rendue compte que l’étiquette “progrès” était un peu tombée en désuétude. Je n’ai pas utilisé ce tag depuis longtemps alors qu’il a été, à certaines périodes de mon blog et de ma vie, un de mes favoris. Le jour où Milieu a compris que les pieds des gens portaient des chaussettes, le jour où Grand a su faire du vélo, le jour où Dernier a appris à dire “non” et ces dizaines de fois où mes enfants ont appris, ont compris, ont trouvé, sont devenues des billets de blog, souvent pleins de tendresse et de fierté maternelle. En y réfléchissant de plus près, celui dont j’ai le plus consigné les progrès est Milieu. Langage, motricité, personnalité, je suis certaine, même si je n’ai pas vérifié précisément, que c’est lui que j’ai vu grandir le plus nettement.

Pourquoi? Mais parce que nous avons été confinés un beau jour de mars 2020 pour presque deux ans, deux longues années de confinements, de déconfinements et de reconfinements. Je l’ai donc beaucoup vu, à un moment de sa vie (de dix-huit mois à trois ans) particulièrement éprouvant pour moi, chaque minute, chaque heure, chaque jour passé à ses côtés, chaque instant à essayer de l’occuper pour survivre et arriver à la journée suivante. Au plus sombre de cette période, je me rappelle avoir eu l’impression d’avancer dans une brouillard épais, dans une purée de poix qui était pourtant régulièrement percée de ces petits moments merveilleux qui font qu’être parent prend tout son sens: ce jour où il a su faire des phrases complexes, ce jour où il a commencé à jouer tout seul en se fabriquant dans la tête des petites histoires de camions et de machines, ce jour où il a pris la grande descente devant la maison en trottinette en réussissant à freiner avec le frein plutôt qu’avec ses semelles de chaussures, cet autre jour où il a commencé à quantifier et compter. Milieu aura été, avec beaucoup de culpabilité, celui que j’aurai le plus détesté de mes trois garçons mai,s avec beaucoup de lumière, celui, aussi, que j’aurai le plus admiré.


En continuant de réfléchir à ce que je consigne ici, dans mon blog, ce que, peut-être, un jour, mes garçons liront avec curiosité et amusement, comme on regarde des albums photo et qu’on se revoit, en maternelle, en CE2, en sixième, je me rends compte également que je ne consigne plus les progrès de Dernier. Pourtant, ces derniers mois, il ne s’est pas ménagé! Il sait dire de plus en plus de mots, commence à lire un livre (entendez: regarder les images) assis sur le tapis et absorbé par sa lecture, s’entraîne au dérapage contrôlé de trottinette et pleins d’autres choses qui montrent qu’il est en plein boom!


Sauf que Dernier est mon dernier. Mon dernier enfant, mon enfant de la dernière goutte d’eau, mon der des ders. Alors ses progrès, je ne les vois plus comme des progrès. Je les traîne comme des boulets, je les souffle comme des “j’en ai marre” et les expire comme des “enfin!” Enfin, il est capable de s’occuper une dizaine de minutes tout seul! Enfin, il joue avec ses frères sans nous réclamer! Enfin, il ne crie plus pour dire qu’il a faim, mais plutôt vient au frigo pour montrer ce qu’il veut! Enfin! 

Ce n’est pas de sa faute, non. C’est juste que je peine à m’émerveiller de ce qu’il apprend, quand tout ce que je veux, c’est qu’il devienne un enfant, pour que je redevienne une femme plus libre, et non une mère prisonnière de ses gosses. Il est bien vrai que mes trois enfants n’auront pas du tout eu la même mère, ou plutôt qu’ils en ont eu des versions différentes. Ils n’auront pas non plus eu la même mère-écrivaine, la même chroniqueuse. Je crois que pour Dernier, pauvre de lui, l’étiquette “progrès” a été remplacée par l’étiquette “exaspération”.


La lassitude, heureusement, se laisse encore amadouer. Ce soir, assis à la table du salon, les garçons dessinent. Grand des arcs-en-ciels et des fleurs, Milieu des bonshommes et des bonnes femmes approximatifs… et Dernier?

Dernier a attrapé un crayon jaune avec lequel il a exécuté un gros gribouillis. Il le montre du doigt avant de s’exclamer “mion-tèrne!”

- Hein? 

- Camion-terne! 

- Ah, camion-citerne!

- Oui.

Puis, il prend un crayon bleu et lance: “mion-toupie!”

- Un camion-toupie?

- Voui.

De sa voix forte et décidée, de son air tout fier, il appelle alors immédiatement son père qui est dans la cuisine: Papa, garde! Camion-terne! Camion-toupie!

Dernier a une mère fatiguée, mais il a une mère fière quand même.

Quels progrès dans sa petite tête! 


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