Mon corps à moi
 

Batailles choisies #556

“Laissez mon corps tranquille, il est à moi!”, ont eu envie de crier toutes les mamans du monde… 🌸


 

Mes enfants m’ont habitée. Ils m’ont traversée. Ils m’ont tétée. Ils ont dormi sur moi. Ils ont réclamé des câlins. Ils ont passé des heures dans mes bras. Ils ont pleuré sur mon épaule. Ils se sont accrochés à mes jambes, à mon cou. Ils m’ont griffée. Ils m’ont écrasé les pieds, ils ont marché sur mes mains. Ils m’ont donné des coups de tête, des coups de pied. Ils m’ont hurlé au visage, ils ont chouiné dans mon oreille, ils se sont disputés pour s’asseoir le plus près possible de moi.   

J’ai souvent eu l’impression que mon corps ne m’appartenait plus, qu’il était à leur disposition. Tous les jours, à toutes heures, pendant de longues années, j’ai été un véhicule, un outil, un ustensile, un doudou.


Avant de devenir mère, surtout de plusieurs enfants qui réclament tour à tour votre chair, c’est quelque chose qu’on n’imagine pas ressentir, je trouve, de se sentir ainsi aliénée, étrangère à son propre corps, d’avoir envie, besoin, de retrouver un corps à soi. C’est un sentiment déstabilisant et difficile à vivre, d’autant que les enfants n’apprennent que très doucement que vous avez un espace vital et que le principe “il faut respecter le corps des autres” s’applique même à Maman. 

Je me revois me fâchant très fort contre mon aîné, qui n’a rien trouvé de mieux que de me sauter dessus sur le canapé où j’allais tranquillement lui lire un livre, en me criant en pleine face un “ha” qu’il a sans doute cru être une bonne blague. Je me revois encore, un matin parmi tant d’autres, habillant un Milieu qui gigote, qui me marche sur les mains et me tire les cheveux pour éviter de perdre son équilibre, pendant que je lutte à lui mettre une jambe dans la jambe de pantalon, puis la deuxième dans la deuxième, d’accroupie à agenouillée à presque couchée sous mon gamin qui m’écrase, me piétine, me colle, et que j’ai envie d’envoyer valser. Quant à Dernier, il grandit, certes, mais s’accroche, comme le bébé qu’il est encore, à mon corps. Le soir, au moment du coucher, et la nuit, il a besoin de me malaxer le téton. Et je n’en peux plus. J’ai envie de lui dire, de lui hurler, que ça suffit, que c’est bon, là, mon corps a assez donné, hein. Mes seins n’ont plus de lait, donc ils ne te servent plus à rien, laisse-les tranquilles! Mais non, il insiste: il passe sa main dans mon t-shirt, laisse ses petits doigts griffus courir jusqu’à mon téton, l’attrape, le tourne et retourne dans un mouvement souvent maladroit, alors que je souffle d’exaspération en acceptant de sacrifier, une fois de plus, mon corps à la tranquillité de son sommeil et du mien. Parfois, quand il ne trouve pas mon sein, il ouvre avec agressivité mon t-shirt et me le sort autoritairement du soutien-gorge comme si c’était son droit le plus strict. 


Là, il doit être 6 heures du matin. Dernier gigote et émet les petits gémissements qui indiquent qu’il est en phase de réveil. Mais voilà, on a prévu une sortie dans la matinée, il faudrait qu’il se réveille le plus tard possible pour caler l’horaire de sieste, éviter les humeurs de bouledogue et les hauts cris. Alors, encore une fois, je prends sur moi, j’inspire, je vais chercher de la patience à défaut  d’amour, et je laisse open bar sur mon corps. Grand me caressait le lobe de l’oreille, Milieu un grand de beauté sur la nuque et Dernier, donc, aujourd’hui encore, malaxe mon téton. 


Quand est-ce que je redeviens à moi?

Grand et Milieu ont tous les deux arrêté autour de deux ans et demi…

Bientôt, de l’autre côté du tunnel…  


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Ode à l’incompétence parentale
 

Batailles choisies #555

Méfiez-vous des gourous de parentalité vous proposant des méthodes “qui ont des résultats très probants”. Mon pavé dans la mare d’une convaincue du time-out, où on rappellera qu’être parent, c’est juste difficile. 🧧


 

Il y a certainement quelque chose à dire de la tant vantée éducation bienveillante, de ses excès, des repères de bon-sens et de pragmatisme qu’elle peut parfois gommer.

Il y a aussi beaucoup de choses à dire sur la pensée scientifique, ou ses failles évidentes, de Mme Goldman, dont les articles massivement lus et partagés dans l’actualité récente, vantant le time-out, semblent fondés sur des principes problématiques.

D’autres, scientifiques, chercheurs et chercheuses, psychologues, feront tout cela avec plus de légitimité que moi.


Moi, je ne suis qu’une mère et qu’une écrivaine dont le travail, ces dernières années, a été d’explorer, de découvrir ou de creuser les tranchées de la vie de famille. La mère et l’écrivaine en moi ont tiqué sur un petit quelque chose, qui a fait sonner l’alarme.

Dans un article pour un magazine féminin en ligne, la psychologue a en effet affirmé que la méthode du time-out a, je cite,  “eu des résultats très probants” sur ses quatre enfants.


“Des résultats très probants”?


J’ai trois enfants. Rien avec mes trois enfants n’a “eu des résultats très probants”. Rien. Certaines choses ont plutôt bien marché. D’autres moins bien, ou pas. D’autres très bien pour l’un, pas du tout pour l’autre, ni oui ni non pour le troisième. C’est vrai que je n’ai que trois enfants et qu’elle en a quatre. C’est vrai que les miens sont encore petits et que les fruits de mon éducation n’ont pas encore été cueillis, que peut-être dans cinq, six ou dix ans, je verrai davantage mes réussites que mes échecs. Je me considère comme une bonne mère, nous considère, Mari et moi, comme de bons parents. Pourtant, jamais je n’ai trouvé que ce qu’on faisait donnait des résultats probants, ni même marchait à coup sûr, encore moins faisait des merveilles. Je me dis toujours, quand je veux me rassurer, qu’on “ne s’en sort pas trop mal”. Il n’y a pas de solution miracle, avec les enfants. Il n’y a que des batailles, certaines gagnées, d’autres perdues, d’autres en cours, toutes changeant constamment de formes et revenant en effet boomerang quand on croit avoir maîtrisé une difficulté. 


Je trouve aussi qu’il est malsain tout autant qu’inefficace, de montrer du doigt ses enfants comme preuve de la réussite de son éducation. Je me suis souvent fait avoir et me méfie de ces petits diablotins, qui ont décidé de faire des concours de pets quand je dis que mes enfants sont polis, qui soutiennent mordicus que trois et trois font huit au moment où je vante leur intelligence.


Caroline Goldman me rappelle, en somme, ma belle-mère évoquant son éducation, stricte, pleine de règles, d’interdictions et de punitions, fière des résultats que cette manière de faire a donnés. Quand on ne doute pas, on passe aussi à côté de ses échecs, et il serait plus sain d’accepter les échecs, d’accepter qu’on ne sait pas toujours, qu’on n’a pas toujours de solution, reconnaître que le time-out systématique, comme toute autre chose systématique, sert à nous donner l’impression qu’on fait quelque chose davantage que de faire, réellement, quelque chose


Au fond, nous parents, ne sommes que des gens qui faisons de notre mieux avec d’autres gens plus petits et pénibles qui font souvent de leur pire, et inversement. Il peut être épuisant de chercher des réponses, et beaucoup plus reposant de se fier à ses certitudes. Mais plutôt que de faire des parents désemparés des parents dépassés, on pourrait prendre du recul et assumer notre incompétence, notre manque d’assurance et la difficulté, finalement, de gravir la montagne parentale?

 

Il faut toujours se méfier des marchands et marchandes du temple, surtout ceux et celles qui montrent les résultats probants à grands coups de réclame, surtout ceux et celles qui ignorent les monts et ne vendent que des merveilles.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣