Mes trois petits cochons
 

Batailles choisies #628

Reprise sur mesure d’un conte célèbre, racontée pour l’édification morale des jeunes enfants et particulièrement utile lorsque le dernier de mes petits cochons ne veut pas dîner. 🐖


 

Il était une fois trois petits cochons. Le premier petit cochon s’appelait Grand Cochon. Le deuxième s’appelait Moyen Cochon et le troisième s’appelait Petit Cochon. Les trois petits cochons vivaient ensemble dans une petite maison avec un petit jardin.


Dernier a arrêté de pleurer. Il me regarde avec des yeux intéressés. Il a ouvert la bouche suffisamment grande pour que j’en profite pour lui fourrer une bouchée de pâtes dedans. Ouf. Et de une. Ça a marché, le coup de l’histoire.


Grand Cochon était l’aîné des trois cochons. Grand Cochon adorait faire du dessin, de la céramique, des colliers de perles et des petits objets en perles à repasser. Il adorait tellement que sa chambre était remplie de perles, de colliers, de créations en papier, d’origamis, de dessins au feutre, aux crayons de couleurs, à la gouache, à la peinture, à la craie, à la cire et que le sol de sa chambre était aussi dangereux qu’une patinoire vu qu’y étaient disséminées des perles, des billes, des crayons ronds, brefs, que des objets sur lesquels on pouvait facilement glisser pour se prendre une belle gamelle et terminer les fesses par terre.   


Une deuxième cuillère passe la barrière des dents et de la mauvaise humeur de Dernier, en même temps que Grand, plutôt maussade depuis notre retour à la maison, se fend d’un large sourire, en se reconnaissant dans ce cochon aimant enfiler des perles - littéralement. L’ambiance du dîner évolue doucement, perd ses airs de première guerre mondiale et reprend les couleurs d’un bon moment. Grand tape des mains et demande la suite.


Moyen Cochon était le cochon du milieu. Moyen Cochon aimait le foot. Il aimait vraiment le foot. Et aussi les maillots de foot. Et aussi les ballons de foot. Et aussi les chaussures de foot. Et aussi les shorts de foot. Et les matchs de foot. Et les joueurs de foot. D’ailleurs, dans son placard, il n’avait que des affaires de foot! Plus une seule place pour la moindre chaussette basse, pas de t-shirt tout simple! Non! On ouvrait le placard et on croyait que le placard vous vomissait du foot dessus! 


Milieu sourit à son tour, Grand rit ouvertement, Dernier reprend un cuillère de pâtes. Mes enfants n’ont pas le droit de regarder la télé en semaine. Ils ne la regardent jamais non plus à l’heure du repas. Décisions auxquelles je tiens et que je regrette tout autant, quand je vois à quel point les repas sont tranquilles et nourrissants (ou plutôt bourratifs, au sens premier du terme) chez Abuelita, où les enfants hypnotisés par l’écran de toutes les couleurs mangent sans même s’en apercevoir. Mais alors, s’il n’y a pas de télé, peut-être qu’une histoire peut avoir le même effet? Allez, il a déjà mangé trois cuillères sans se plaindre, je tente le tout pour le tout, pousse-vous les Pat Patrouilles, bienvenue aux cochons du Chili!   


Quant à Petit Cochon, il avait une collection de camions. Mais une collection, que vous n’arriveriez même pas à vous imaginer! Des camions de tous les types, pas seulement des grands et des petits, des rouges et des bleus, non! Des types de camions de ceux qui peuvent remplir des pages d’encyclopédie, des camions-toupies, des dumpers, des camions-grues, des dépanneuses lourdes, des camions- citernes, des camions frigorifiques, des semi-remorques, les grumiers, les camions-bennes, les bennes céréalières…


Dernier, trop heureux d’étaler son savoir sur cette question, accepte deux bouchées de pâtes de plus, en criant, avec son petit langage de petit enfant, des noms de camions, camion-poubelle, camion-toupie, camion-glue, camion-ciderne! Entre chaque exclamation, une bouchée de pâtes passe de mon assiette pleine d’inquiétudes à sa bouche pleine de soulagement.   


Le problème, le problème, voyez-vous, c’est qu’entre les colliers de perles, les maillots de foot, les camions-poubelles, toupies, citernes, grues, grumiers, il n’y avait plus de place dans la maison! Tous les placards étaient pleins et puis les cochons, Grand Cochon, Moyen Cochon et Petit Cochon, se disputaient tout le temps. Même s’ils n’aimaient pas jouer avec les jouets des autres, ils voulaient toujours ce qu’avait leur frère! 


L’histoire des trois petits cochons suit son cours, le dîner suit son cours aussi. On y parle de construction de maison, d’aménagement de grands placards, de garages. On y souffle, on y crie, on y rit. Il faut tenter le tout pour le tout et arriver au bout du conte et des pâtes. Je suis fatiguée, mais je préfère souffler et souffler et souffler, jusqu’à ce que les pâtes refroidissent, que la paille s’envole et que Grand Cochon se précipite chez son frère Moyen Cochon qui a terminé de construire sa maison en bois et y a rangé toutes ses pièces de collection du meilleur tifoso de la planète. 


Alors Grand Cochon fourre toutes ses perles dans ses poches, Moyen Cochon met ses maillots les uns sur les autres et ses douze shorts et ses quinze paires de chaussettes et, maintenant qu’il ressemble vraiment à un cochon, lui qui est d’habitude maigrichon comme une chèvre, les deux frères se précipitent chez Petit Cochon, qui leur ouvre gentiment la porte. Les deux grands cochons entrent et glissent et se fracassent les genoux sur les dizaines de camions qui jonchent le sol, des perles volent, des ballons passent dans la pièce et par la fenêtre. Mais, ensemble, ils ont réussi à fermer la porte et à laisser dehors le loup qui, pourtant, est insistant. 


Toc

Toc

Toc

  

Les enfants sont scotchés, la bouche ouverte - ce qui m’arrange. Je mets toute l’énergie qu’il me reste à souffler et souffler et souffler, tellement que le loup s’enfuit et que les cochons, depuis la fenêtre du deuxième, lui lancent des perles, des ballons de foot (les moins gonflés) et des roues de camions.


Les garçons adorent la fin de cette histoire, ils rient à gorge déployée. Grand éclate de rire, laissant voir dans sa bouche hilare des pâtes à moitié mangées. Milieu postillonne du yaourt en pouffant. Dernier, hypnotisé par mon imitation du loup asthmatique qui souffle et s’enfuit piteusement, prend à pleines mains une poignée de pâtes, l’enfourne dans sa bouche et invective le loup en parlant la bouche pleine. Ils sont dégoûtants, mais nourris. Je suis épuisée, j’ai été chassée à coups d’objets ronds et de rires, mais j’ai réussi.   


Alors, à la fin de l’histoire, les trois petits cochons décident de construire ensemble une grande maison, d’ajouter un deuxième étage pour que chacun puisse avoir la place de mettre son bazar et des grands placards pour ranger les dessin, les objets de céramique, les colliers de perles, les petits objets en perles à repasser, les feutres, les crayons de couleurs, les gouaches, les peintures, les craies, les crayons de cire, les maillots de foot, les ballons de foot, les chaussures de foot, les shorts de foot, les petites cartes de joueurs de foot, les camions-toupies, les dumpers, les camions-grues, les dépanneuses lourdes, les camions- citernes, les camions frigorifiques, les semi-remorques, les grumiers, les camions-bennes, les bennes céréalières. Et pour tout ça, il faut des grands placards.     


Milieu a les doigts verts de sauce.

Grand a mis un tiers de ses pâtes sur la table.

Dernier a de la compote jusque dans les oreilles. 

Mais mes gros cochons ont dîné.


Ils vécurent heureux et terminèrent leur dîner, avant de se fâcher à mort pour un camion-poubelle, un porte-clé en perles et le meilleur ballon de foot.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

En attendant Godot
 

Batailles choisies #627

Un classique de la famille hétéro: si, si, Chérie, j’arrive! ⌛️


La fin de journée est belle: douce lumière, soleil caressant, couleurs dorées et rôties à feu lent.

D’où viennent, alors, ces nuages sombres au-dessus de moi?

D’où vient la tempête que je sens monter en moi, les noires récriminations qui tourbillonnent, les lourdes nuées qui obscurcissent la joie de vivre d’une belle après-midi quand ses enfants font du vélo et de la trottinette dans la rue parce que l’école est finie?

  

Ils viennent, ces nuages, de ce que Mari m’a dit il y a une heure et demie qu’il avait fini dans deux minutes.

  

Mari a bientôt fini.

Il a fini dans deux minutes.

Dans combien de temps tu auras fini, Chéri?

Deux minutes.

J’ai prévu toute ma soirée en fonction de cette certitude: Mari arrivera bientôt, sous peu.

Sous peu, donc, je ferai rentrer les enfants, je les ferai dîner tôt, pour couper les faims et les mauvaises humeurs, on pourra ressortir tous ensemble. D’une minute à l’autre, je quitterai les voisins avec les enfants desquels mes garçons rient, crient et se disputent. D’une minute à l’autre, je pourrai laisser à Mari la surveillance des courses de véhicules et irai mettre la table, préparer le dîner, qui se passera comme un charme. Après, le jeu, la douche, le dodo et le grand ouf


Cinq minutes passent.

Rien.

Dix.

Je ne vois personne venir.

Quinze.

Si, je vois venir, à l’horizon, des disputes. Dernier est en train de disputer son camion au petit voisin, Milieu est allé se fourrer chez son ami de la maison d’à côté alors que je lui ai dit que non, parce que, certainement vont suivre ses deux frères et que je vais me retrouver à aller déloger de gré ou de force les intrus.

J’espère qu’il arrive bientôt, Mari. 

Trente minutes passent. 

Je commence à me demander si je ne vais pas plutôt, tant pis, faire rentrer tout le monde maintenant et enquiller le repas seule. Peut-être une contingence?


Je frappe discrètement au bureau de Mari et lève en direction de sa conscience un sourcil interrogateur. Il a un air ouvert, pas particulièrement soucieux ni préoccupé, il me répond chaleureusement que oui, oui, dans dix minutes.

Bon, il va venir, donc.

Et puis il a eu une réunion super tard hier, il m’a dit qu’il finirait plus tôt pour compenser.


De nouveau dehors, je commence à ramer vraiment. Dernier est en pleine crise pour un problème de propriété privée, Grand, qui avait faim, est allé se servir dans le placard du haut sans que je le voie et est présentement en train de distribuer des chocolats à l’assistance ébahie. Quant à Milieu, il a décidé de larguer son super copain de la maison d’à-côté pour son encore plus super copain du bout de la rue. L’abandonné pleurniche pendant que mon fils l’ignore superbement et que je dois déployer des trésors de diplomatie pour organiser un jeu aux trois garçons tout en surveillant vaguement que Dernier ne se tue pas en faisant de la trottinette comme un kakou. 


La belle fin de journée tourne au vinaigre. Et puisque Godot n’arrive pas, et que les enfants ont grignoté, ben, autant rester dehors encore un peu, alors. Dernier, de toute façon, a la faim coupée. D’autant qu’à regarder mes trois garnements, je pense au dîner que j’avais prévu, et j’anticipe la bataille: elle ne va pas passer mon omelette de légumes avec du couscous. Rien qu’à imaginer le couscous dispersé dans tous les recoins de la salle à manger, non, non, je change de plan: je laisse mes voisins surveiller les enfants, me précipite pour faire cuire des pâtes, entre, sors, joue, prépare, rentre, mets la table, sors, jusqu’à ce que, depuis une heure et quart que j’attend Mari, et enfin, comme les enfants des autres ont déjà dîné et que les miens chouinent vraiment fort, je me décide à rentrer.


Malgré les pâtes, le dîner est tendu, les enfants sont désagréables, n’écoutent rien, ne mangent pas bien. J’essaie de ne pas perdre patience, je perds patience tout de même. Ils dînent à peu près. 

Au moment du dessert, Mari arrive, de bonne humeur, l’esprit libre, et me demande d’un air préoccupé si ça va, vu que mes sourcils ont la forme des flèches des mauvais jours.

Mais attends, tu m’avais dit dans cinq minutes! Si tu me dis dans une heure et demi, soit, je m’adapte, je change mon organisation, mais là… attendre comme ça, pour rien! Nous pourrir la soirée à tous! 


- Excuse-moi, je n’y ai pas pensé…

- Oui, ben, en attendant… 


En attendant qui? Mari? Bof.

En attendant quoi? Le grand soir féministe? Peut-être.

Il a plus de chance d’arriver.

 

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