Écoute ta mère

 

Batailles choisies #213

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Quand la grande penseuse féministe Silvia Federici n’écoutait pas sa mère... 👂


 

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article du New York Times sur Silvia Federici, une des grandes penseuses féministes. Notre pensée contemporaine lui doit beaucoup et l’article est un rappel bienvenu de ses idées, notamment celle que le fait de ne pas considérer le travail reproductif (domestique et parental) comme du travail fonde nos sociétés capitalistes et le système d’exploitation et d’oppression des femmes qui va avec. 

Je recommande la lecture de l’article pour faire le point.

Mais ce qui m’a le plus touchée, c’est ce qui y est dit de la relation de Federici avec sa mère. Federici se souvient des nombreuses fois où elle a entendu sa mère se plaindre qu’on disait que son mari travaillait, par opposition à elle qui, donc, ne travaillait pas. En substance:

-Et on dit que ce que je fais n’est pas du travail!

Ou bien:

-On ne le plaint que lui, et moi, personne ne me plaint ou ne m’aide!



J’imagine cette femme, mère de deux enfants, seule en charge du foyer, dans les années quarante, lessive, ménage, repas, courses, garde d’enfants, couture, tout en bref et bien plus que ce que notre époque nous a permis de déléguer en partie.

Federici dit qu’elle, comme son père et comme toute la société de l’époque, ne prend pas en considération ce qui est vu comme des plaintes, des râleries. 

Des plaintes de bonnes femmes?



Je trouve cet aveu émouvant car j’aime sentir que c’est un sentiment, une émotion qui prend aux tripes, qui a fondé la révolte de Federici jeune femme et construit sa pensée. 

Elle a dû revenir à ces plaintes pour les comprendre, pour les replacer dans un système qui fait sens et pour voir qu’elle aussi prenait part à l’oppression de sa propre mère, qu’elle était aveugle et invisibilisait activement ce travail reproductif.

Petit coup dans le ventre pour moi, partage d’émotion entre elle et moi.

Parce que, combien de fois j’ai écouté des plaintes de femme en les balayant comme des plaintes et non comme ce qu’elles sont: des dénonciations d’injustices systémiques?

Oh, j’ai écouté des râleuses et je me suis dit: des mégères! Ou: des problèmes de bonne femme!



On intègre tous et surtout toutes que le travail féminin, et la parole féminine, sont inintéressantes, n’ont pas à être considérées. 

Et au centre de ce système, tenant un piquet de revendication que pas grand monde ne lit, les mères, celles dont le travail n’existe pas (oh, mais c’est un plaisir de s’occuper de ses enfants!), et celles dont la parole ne devrait pas exister (oh, mais arrête de te plaindre, c’était bien plus difficile avant!).



À moi plus jeune, à mes enfants maintenant, il faut donc dire: écoute ta mère.

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