Stand by me

 

Batailles choisies #230

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Un souvenir du grand amour, pour les vieux et vieilles comme moi qui ont connu l’époque où on dansait des slows.🕺🏻💃


 

Par la fenêtre de la cuisine, je regarde le jardin s'obscurcir. 

Dehors, le jour est en train de tomber et la fraîcheur du soir avec, rendant la cuisine encore plus chaleureuse, glouglou de l’eau qui coule, pshit de la hotte qui aspire l’odeur de l’huile de friture, chuit du gaz sous la soupe du dîner. 

Ting! Tumtumtum, tum! Tumtumtum, tum!” 

Cette intro est reconnaissable entre toutes: “Stand by me” de Ben E. King passe à la radio. “When the night has come…


Contre ma poitrine, je tiens Dernier bien serré, enveloppé dans une couverture en polaire bleue. Il se laisse gagner par la chaleur de la pièce, celle du vêtement et celle du câlin. Il lève ses yeux vers moi alors qu’il semble gagné par l’endormissement - ce n’est pas son heure, mais comment résister à tant de douceur... Je dépose quelques baisers sur ses joues, son front et me mets à bouger en cadence, tournant doucement, l’enveloppant de mes bras, regardant longuement son visage, sans gêne, sans retour sur soi, simplement dans le moment présent, bercés que nous sommes par la danse et la tiédeur, en nous et autour de nous.   


Ce slow me ramène à une fête d’anniversaire de mon adolescence, il y a vingt ans bien tassés. Une grande salle, des lumières bleues et la tension de fin de soirée: c’est bientôt l’heure des slows! Les garçons sont adossés à un mur d’un côté de la salle, les filles tiennent le mur opposé. Pour inviter quelqu’un, il faut traverser toute la pièce, immense et nue, ne croiser aucun regard, ne pas glisser et se casser la figure, avoir l’air à l’aise, pas trop gauche, ne pas se faire jeter, danser bras tendus pour séparer les corps d’un air mécanique assez ridicule.  

C’était horrible comme tension, comme regards croisés, comme moqueries, comme jugements. Ça ferait jaser pendant des années, celle qu’on n’avait pas invité, celui qui avait embrassé, celle qui avait dansé avec plusieurs. Je vois s’approcher quelqu’un pour qui j’avais le béguin (Charles? Alexandre? Guillaume? je ne me souviens plus). Il marche vers moi, d’un pas sûr. Il a mis sa tenue de fête, pantalon noir et chemise blanche - j’habite à la campagne à l’époque, il porte sans doute la même pour toutes les occasions, anniversaires, messes, baptêmes et enterrements. J’ai honte, je suis stressée, mais tant pis, je prends l’embarras si c’est pour danser avec lui. Mon ventre papillonne, en moi tout tremble. Nos regards se croisent. Arrivé à ma hauteur, il bifurque sèchement et prends la main de Claire? Hélène?

J’ai le feu aux joues, le cœur brûlé au fer, l’esprit consumé! Je suis mortifiée! Au collège, demain, éternellement, je vais être au bûcher, moquée et invectivée, ou pire: plus jamais invitée à un anniversaire!


Les slows, c’était vraiment niais.

Et puis, il ne devait pas valoir la peine, ce garçon. Celui que j’ai fabriqué et que je tiens contre moi, longs cils, regard doux, dans la tiédeur de la tendresse, est bien mieux.

And darlin’ darlin’, stand by me.. 

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