La jolie petite robe blanche!

 

Batailles choisies #251

Un cadeau empoisonné à ne JAMAIS offrir aux filles de vos amis: une jolie petite robe blanche. 👗


 

C’est une anecdote à laquelle je repense très souvent, mi amusée, mi coupable.


Je dois avoir vingt-cinq ans et je cherche un cadeau pour la fille d’une amie. Dans une boutique, j'hésite entre deux tenues: un ensemble jogging en pilou d’une couleur rose bonbon, ou une jolie petite robe blanche, légère et élégante.

Qu’elle est belle, cette robe! Mais est-ce que Suzie, cinq ans, met des robes blanches? Sa mère m’a dit qu’elle était dans une période où elle adorait le rose. Il vaudrait mieux prendre le jogging, alors? En même temps, offrir du rose, quand même, marre que les petites filles s’habillent en barbie, là!  

 

Mon amie m’a invitée à Courseulles-sur-Mer où elle passe ses vacances avec ses trois enfants. Rapidement après mon arrivée, entre la poire et le fromage, je dis tout contente que j’ai un cadeau pour la petite. Je pose la boîte élégante sur la table, on déplie le papier de soie qui froufroute comme s’il allait révéler un bijou. 

Oh! La jolie petite robe blanche! Suzie, comme elle te va bien!

Suzie est ravie. Sa mère me remercie chaudement, mais je perçois une pointe d’inquiétude dans les yeux, je crois déceler la contention d’un soupir. Peut-être qu’elle en a déjà huit, des robes comme celle-ci? 


Je ne le sais pas, parce que je n’ai pas d’enfant à l’époque, mais avec la jolie robe blanche vient une étiquette que savent parfaitement lire les mamans et qui dit: je suis un problème de plus.

-Merci, Héloïse, merci, elle est très mignonne, la robe. On finit le repas et on va à la plage d’accord? 


En dessert, il y a des glaces au chocolat.

La jolie petite robe blanche dure exactement le temps d’un dessert.

Elle est bientôt couverte de traces de doigts, de gouttes marron ploc, ploc, ploc qui coulent sur la toile légère et de traînées de paumes.


Je repense à ma naïve gentillesse avec amusement et gêne. J’ai certes donné un joli cadeau à sa fille. Mais à sa mère, ce jour-là, j’ai donné la charge de ne pas salir la robe blanche; de regarder, impuissante, se former les taches qui ne partent pas; la charge sociale de s’excuser, la prochaine fois que je leur rendrai visite, de ne pas lui mettre souvent la jolie petite robe blanche. 

Je vivais alors dans la planète des gens qui n’ont pas d’enfants

Désormais, quand on offre aux miens un joli chemisier blanc ou un élégant pull beige, j’ai la même réaction:  brin d’inquiétude (aïe), sentiment d’impuissance (mince) et soupir contenu (pff, rien à faire) et remerciements sincères et de bon ton. Le vêtement finit en serpillère ou reste au placard, les deux avec la pointe de culpabilité qui va bien, soit parce que je trouve que mes enfants sont des cochons et salissent tout, soit parce que je me trouve ingrate de ne même pas leur mettre ce petit t-shirt mignon, tout blanc avec un élégant liséré bleu. 

La mère féministe que je suis aujourd’hui sait que la tenue féministe, c’est le jogging rose bonbon.


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