Cendrillon

 

Batailles choisies #549

Être bien habillée ou être maman, il faut choisir. 👠


 

Ça sonne. Ma dernière heure de cours de la journée s’achève. Il est temps d’aller récupérer les enfants, d’abord les grands puis Dernier à la crèche qu’on part chercher dans notre carrosse familial. Une collègue très chaleureuse me lance un “salut, ma belle!” alors que je m’apprête à endosser ma vie de mère, en laissant ma vie de femme dans mes jupes. 


Oui, mes jupes.


Cette année, j’ai pris une décision. Une bonne résolution. J’ai décrété que j’allais prendre davantage soin de moi et en particulier de mon apparence. Marre de ne jamais rien mettre qui soit joli, de ne porter que des vêtements pratiques. Marre de ne ressembler à rien et de ne porter que des nippes, de laisser dans un tiroir dédié les jolis vêtements, les bijoux et le maquillage que je ne sors jamais, de peur de me les faire abîmer par vous savez qui. Oui, cette année, pour cette rentrée, je me suis acheté des petits hauts clairs et fragiles, des jupes qu’il faut repasser, des robes ajustées dont il faut prendre soin. Cette année, j’ai ouvert le tiroir où sont conservées les plus belles pièces de ma collection et je suis bien décidée à les porter.  


Ce changement n’est pas passé inaperçu. Oh ben dis donc, tu es jolie! Qu’elle est belle, ta robe! Ça te va bien, cette couleur! Je ne mens pas en disant qu’une bonne dizaine de collègues de l’école m’ont fait des remarques positives sur cette apparence rafraîchie, qui m’a donné l’impression que j’étais vraiment devenue une belle princesse - ou que jusqu’à l’année passée je ressemblais décidément à un crapaud.


Sauf que la sonnerie résonne longuement et que dans le sillage de ma belle robe bleue à empiècements en dentelle, il faut que j’oublie les gentils compliments et que je revienne à ma réalité: oh, Marraine, j’ai si peur! Grand et Milieu auront sans doute mangé les biscuits au beurre que je leur ai envoyés! Et Dernier avait des oranges en collation… ses mains en seront-elles encore pleines?


Ma danse avec le beau prince a assez duré. Les douze coups de minuit ont sonné. Il faut que je me dépêche de rentrer, en évitant tous les obstacles sur la route de mon carrosse. Milieu, tout joyeux de me retrouver, veut un câlin mais pas question de lui donner de l’amour comme ça - une inspection des mains s’impose. Grand me tend les bras - mais gare! Il a toujours des traces de feutre et de crayon. Dernier, surtout, doit être surveillé. Il arrive que les ass mat lui donnent, en toute fin de journée, des chips saveur fromage, de celles qui (je me suis déjà fait avoir) laissent une poudre orangée sur mes vêtements et une traînée de larmes sur mes joues. 


Avec précaution, donc, je réussis à donner des bisous sans recevoir de taches, à caresser des cheveux sans récupérer de puces, à refermer la porte de la maison sans avoir endeuillé ma belle robe bleue. 

Ouf, la maison…

Enfin… avant de pousser un ouf de soulagement, il me faut vite vite descendre les enfants de la voiture, les installer au comptoir de la cuisine devant un goûter, dernière activité à haut risque qui me donne le temps de monter dans ma chambre.


Là, j’enlève mon joli vêtement, que je pends au fond de la penderie ou range dans le tiroir des collections précieuses avec mes rêves de grandeur. Je retire délicatement une première boucle d’oreille, puis une deuxième et les mets soigneusement au fond d’une pochette à boucles d’oreille, elle-même cachée dans une pochette à bijoux plus large. J’attrape, en écoutant d’une oreille sans boucle si une bataille de yaourt s’est déclenchée en bas, un coton et efface le crayon, le mascara et le fard à paupières que j’avais mis pour danser avec le prince. Je me lave ensuite soigneusement les mains et enlève mes lentilles de contact puis chausse mes lunettes. Enfin, j’enfile mon pantacourt avec une tache de gras qui ne part pas et un t-shirt couleur citrouille arborant, à gauche sous le sein, une éclaboussure de confiture ou une trace de feutre couleur framboise - qui peut s’en souvenir, avant de crier: j’arrive les enfants!


Et, alors que cinq heures viennent de sonner avec la fin du goûter et le début de ma soirée de maman fatiguée, à quatre pattes sur le sol, je nettoie les taches de yaourt en chantonnant un air triste.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣