La haine

 

Batailles choisies #437

Il m’est déjà arrivé de haïr mes enfants. C’est un sentiment tabou, impressionnant et heureusement fugace. Pourtant, ce sentiment terrible me fait du bien alors je le laisse exister. 😡


 

Dernier me lance des regards avec ses grands yeux noisette, les cils immenses et déroulés comme des points d’exclamation. Sa pupille étincelle, une immense question habitant toujours ses yeux ouverts. Il se tient tout près de mon visage, la tête légèrement penchée. Quelques cernes et ses joues rougeaudes lui donnent un air de fatigue, un air de menace. Malade, il ne peut pas aller à la crèche. Il me regarde, plein de tendresse et de confiance. Je le regarde et je le hais.


Je le hais, lui qui fait de moi une tétine et une esclave. Je le hais, lui qui n’est pas capable de me laisser tranquille, juste un tout petit instant. Je hais qu’il soit malade. Je hais qu’il ne dorme pas alors que sa sieste était le seul moment où j’allais pouvoir travailler. Il n’y peut rien, non, d’être un peu souffrant, il n’y peut rien, non, de ne pas pouvoir aller à la crèche, il n’y peut rien, non, que sa maman ait absolument besoin de préparer deux séquences pour ses classes. Il n’y peut rien. Lui, il est juste doux, innocent et un peu malade. Mais je n’arrive pas à accepter que ma semaine de travail et de tranquillité soit brisée en mille morceaux.

Dernier me regarde et je le hais, donc, de tout mon cœur. Je ne ferai rien de cette haine. Mais je n’ai pas envie non plus de faire comme si elle n’existait pas, comme si elle était inconcevable alors qu’au contraire, je la conçois très bien. En tant que mère, certains jours, je me laisse ressentir les pires horreurs, je laisse toute la puissance de mes ressentiments s’emparer de moi. J’en ai besoin avant de pouvoir reprendre le dessus, et redescendre de ma colère.


Dernier continue de m’observer avec tendresse. Déjà, je sens que ma pelote de haine commence à se dévider. Je ne hais pas mon enfant, non. C’est juste que j’ai la haine.


Ça va passer, comme toutes les autres fois. Ça va se transformer en résignation (qu’est-ce que je peux faire, de toute façon?), en hauteur (dans un an, tu auras complètement oublié que tes cours n’étaient pas au top), en profondeur (vas chercher de l’amour en toi). Mes dents serrées laissent échapper un soupir.


Dernier me regarde avec ses grands yeux d’amour et me lance un joyeux “diè”, qui veut dire où on va qu’est-ce qu’on fait oh je suis heureux de te voir ma maman c’est joli ici - tout ça en même temps.

Allez Dernier, tu ne vas pas dormir, j’ai compris. On redescend?


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