Un peu rien

 

Batailles choisies #465

Qu’écrivent les artistes quand ils sont globalement heureux? 🌤


 

- Et tu as regardé quoi dans l’avion?

- Ben, un peu rien. Ah, si j’ai regardé le début du spectacle de Florence Foresti.

Dans un avion avec trois jeunes enfants, dont un accroché au sein pour téter, impossible de regarder la télé alors que la liste de tout ce que j’aimerais voir, avoir vu ou dont j’ai entendu parler, ou non, est longue comme les quatorze heures qui nous séparent de la France. J’ai tout de même réussi à regarder un peu “Foresti Party”, en volant trente minutes à mes obligations parentales et à ma prison maternelle sous forme aéronautique. J’aime bien Foresti, j’aime énormément le stand-up, et j’aime encore plus quand c’est une femme, et une mère, qui occupe toute la scène et qui fait état et étalage de sa vie. Le spectacle commence par une grande question d’artiste qui préoccupe Florence Foresti, et moi aussi: peut-on créer quand on est heureux? Ben quoi, tout le monde le sait, ce sont les angoisses, le malheur, qui font le meilleur art! Les poètes maudits, tout ça, tout ça. Florence Foresti va bien. Et comme elle va bien, c’est chou blanc et page blanche en matière d’inspiration. Si elle est heureuse dans sa vie d’artiste, dans sa vie de mère, dans sa vie de femme, que va-t-elle bien pouvoir raconter?

Cette interrogation fait écho à ma pratique d’écriture. Depuis quelques mois, alors que j’éprouve une certaine difficulté à tenir le rythme de l’écriture régulière de mes batailles choisies, et que j’ai le sentiment de peiner à fidéliser mon lectorat, je me demande si mes meilleures feuilles de blog ne sont pas derrière moi. Lorsque j’étais au bout du rouleau, il y a une année ou il y a deux ans, aliénée par des mois de confinement à courir d’un enfant de l’autre, j’ai dû aller chercher très profondément en moi de la patience, de la joie dans des moments d’intense noirceur, j’ai dû écrire pour ne pas sombrer, moins poétesse maudite que mère maudite, et ce que j’ai écrit résonnait chez mes lecteurices. Depuis que je suis moins malheureuse, moins poussée constamment à bout par mes enfants, j’éprouve moins la détresse d’être parent, même si j’en ressens, tous les jours, les fatigues et les frustrations. Alors je me demande, comme Foresti, si on peut écrire, si on peut être lu quand on va bien.

Je ne connais pas la réponse de Florence Foresti à cette question. Peut-être que je verrai la fin du spectacle dans le vol retour? J’imagine que non… mais si elle a fait Bercy, c’est bien qu’elle a trouvé une réponse. Je ne vais peut-être plus si souvent ni si profondément dans le fond du trou, mais j’ai bien le droit de souffler un peu, de traverser la parentalité comme un paysage, et pas uniquement comme une mine? 

J’ai écrit, dernièrement, des billets sur les mignonneries de mes enfants, les beaux yeux de mon bébé qui me regarde avec tant d’amour et c’est vrai que c’est un peu rien, et un peu tout. 

J’ai écrit des billets sur les disputes avec mon fils aîné, sur les insignifiances qui les déclenchent, sur le sens profond qu’elles ont, sur ce qu’elles disent de la construction de la personnalité de mon fils, du lâcher-prise et de mon impuissance - un peu tout, un peu rien, 

J’ai écrit des billets sur les chamailleries entre frères, ces grands pataquès qui partent d’un peu rien et font exploser un peu tout.


J’écris, et continue d’écrire, sur ma vie de famille, sur un peu tout, sur un peu rien. Je verrai bien quel genre de “party” je ferai à la fin.


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