Mauvais calculs

 

Batailles choisies #468

Une des grandes frustrations parentales lorsqu’on a des enfants petits: l’arithmétique et la géométrie des horaires de siestes, de sorties, de repas, pour passer une journée correcte. Hâte de passer à autre chose.  💠


 

Dernier, en cette fin de matinée, est difficile. Il a certainement un peu chaud, sans doute un peu soif, absolument faim et désespérément envie de téter. Tous les jours depuis qu’on est arrivés pour nos vacances en France, à toutes heures, Dernier réclame la tétée, passe sa main dans mon débardeur et mon soutien-gorge, essaie de sortir mon téton comme si c’était open-bar. Je ne produis plus beaucoup de lait et préfère le réserver au moment de l’endormissement, alors, en cette matinée où il est un peu difficile, je fais le calcul suivant: il reste 35 minutes avant le déjeuner, je le fais tenir, il doit avoir un peu faim, après le déjeuner, il retrouvera sûrement de sa bonne humeur. Donc un repas rapide et je vais le coucher. J’ai mes pièces de jeux à encastrer, mon puzzle premier âge, un rond qui va dans un rond, un carré dans un carré, un rectangle dans un rectangle. Ça va le faire.

Spoiler: c’était un mauvais calcul. 

Il tient difficilement les 35 minutes, en pleurant, en geignant, en réclamant 10, 100, 1000 fois à téter. Je fais une première tentative de l’asseoir dans sa chaise haute, il pleure. Je fais une deuxième tentative de l’asseoir dans sa chaise haute, avec une assiette de pâtes et de steak haché bien en vue, il pleure encore plus fort. Bon, tant pis, je vais lui donner la tétée et l’endormir. Re-calcul rapide qui devrait donner de bons résultats. 

À la chambre, je le mets au sein, il s’endort facilement. Vient le moment redouté, celui où j’ai beau faire et refaire des calculs, je ne trouve jamais le résultat sûr et certain de la bonne manière de le retirer du sein, moment délicat, passage plein de périls. Je le berce d’une main et d’un mouvement précis, enlève le téton de sa bouche. Manqué: il se réveille en pleurant. Je remets le téton en place, attends qu’il retrouve une respiration paisible, retente le coup. Deuxième échec. La clé est de ne pas me frustrer, d’être patiente, parce que si Dernier sent que je ne veux pas être là et que j’en ai assez, il s’accroche d’autant plus au sein et je suis plus exaspérée à chaque minute qui passe. Alors, on ne se frustre pas… et on retente… troisième retirage de téton, troisième réveil. Mon mari vient me prêter main forte et se couche à côté de Dernier pendant que je re-prête mon sein. Allez, on se calme, on se calme… D’un regard et d’un geste, Mari m’indique de partir, qu’il essaiera de l’endormir. Je lui glisse un plan B, au cas où: s’il n’arrive pas à le rendormir, qu’il le ramène au déjeuner et on fera faire une petite sieste en fin d’après-midi à Dernier. 

J’arrive à la table du déjeuner de famille complètement dépitée, avec mon rond, mon carré, mon rectangle dans les mains. Je n’ai aucune envie, et ne suis pas en capacité, de faire la moindre conversation. Dans ma tête, je refais des calculs et des calculs, je barre mon plan de faire la sieste et biffe mon projet d’écrire un peu, à moins que Dernier ne se rendorme, je réfléchis aux horaires, à comment on va occuper un Dernier infernal qui n’a pas dormi jusqu’à sa sieste de secours, à comment on va occuper un Milieu qui tire un peu la tête et semble lui aussi fatigué. Je me dis que peut-être…. Dernier se sera… rendormi… avant de le voir arriver dans les bras de son père, un grand sourire accroché aux lèvres et sur son front écrit un “pas moyen que je dorme”. Impossible de faire entrer un rond dans un carré, aujourd’hui. 

C’est la loose. C’est une après-midi qui s’annonce pénible.

Mais quel mauvais calcul j’ai fait là! Le bon, celui qui aurait donné le CQFD tant espéré d’une mère lasse, ça aurait été de lui donner la tétée et de l’endormir avant le déjeuner, qu’il ne soit pas sur-fatigué, et postposer son déjeuner! Mais quel mauvais coup j’ai joué! 

Je n’en peux plus de tenter de trouver la quadrature du cercle des horaires d’une famille nombreuse. Vraiment, j’en ai marre de la petite enfance. Les bébés, c’est définitivement fini pour mon mari et moi. Quand je vois à quel point, avec Grand, 6 ans et demi, les contraintes se sont relâchées! Pour Milieu aussi, certes un tout petit moins, mais tout de même! C’est ça que je veux: des journées où on peut improviser et se laisser le temps de voir, où on peut laisser faire, des journées où les barreaux des demandes des enfants s’assouplissent et perdent leur force d’étain pour devenir de la mollesse sucrée de la guimauve, des journées où on arrête de calculer, où on jette à la poubelle les mathématiques.

L’après-midi est tout sourire, une fois mon erreur assumée, ma résignation retrouvée. Je confie le petit à mes parents, je travaille un peu, je me repose. À 17 heures, j’endors Dernier pour une brève sieste, facilement, je me repose du même coup. Le réveil est tranquille, la soirée est douce.


Parfois, la tablette de ronds, de cercles, de rectangles, sait s'adapter et se transforme, accueillant sans bruit et sans problème, mes triangles tout en pointes, mes trapèzes volants et mes bienheureuses ellipses.  


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