Ma bataille

 

Batailles choisies #467

Comment s’en sort-on, lorsqu’on a l’impression de persévérer dans son erreur d’éducation avec ses enfants? Allez, passons à table avec Milieu. 🥄


 

- Encore trois bouchées.

- Non.

- Si. Allez, trois bouchées.

- Non.

- Si. Allez. Trois.

- Non! Deux.

- Trois. Ou deux bouchées de riz et un morceau de poisson.

- Non! Pas de poisson.

- Mais tu aimes d’habitude! Deux bouchées de riz alors.

- Non. Une. 

- Ok, une. Mais une vraie! 

Voilà. Je suis devenue cette mère-là, celle qui négocie les bouchées de nourriture, celle qui demande à ce qu’on mange encore un peu plus, celle qui se fâche que Milieu n’ait encore rien mangé, c’est pénible, j’en ai marre que tu ne manges jamais rien! Pourtant, j’étais sûre de ne pas devenir cette mère-là. J’ai toujours eu de la hauteur, j’ai toujours privilégié l’objectif (que les enfants aiment manger et prennent plaisir à goûter à de nouvelles saveurs) aux sinuosités du chemin (qu’ils ne finissent pas leur assiette ou qu’ils ne veuillent que du riz pendant trois mois). Pour Grand, qui est un bon mangeur, et pour Dernier, qui est d’un enthousiasme communicatif à table, c’est pari réussi.

Pour Milieu, en revanche… j’ai raté. J’ai raté quelque chose. Il n’aime pas manger. Il mange très peu, quasiment aucun légumes alors qu’il peut se goinfrer de sucreries. Et je n’ai, avec lui, aucune hauteur, aucune perspective que ça s’améliore. J’ai bien essayé de me dire que ça viendrait avec l’âge, quand il aurait 2 ans, quand il aurait 3 ans, quand il aurait 4 ans - et non, rien ne vient. J’ai bien essayé de l’intéresser à la cuisine et de lui faire choisir ce qu’il voulait manger - et non, ça ne change rien ou presque. J’ai bien essayé de lui parler de bonnes habitudes alimentaires, d’emprunter un livre à la bibliothèque, de regarder avec lui s’il mangeait un peu de tout ce qu’il y a sur ce schéma pour être en bonne santé - et non.

Non, et j’en suis là: à l’amener dans sa chambre parce qu’il n’a rien voulu manger et que c’est hors de question qu’il mange un autre pain au chocolat; à lui dire qu’il peut manger un biscuit seulement s’il a fini sa salade de tomates ; à surveiller ses assiettes, à me fâcher pour qu’il mange, à passer mon temps à juger de ses bons ou mauvais repas. 

C’est comme s’il y avait une voie riante et joyeuse pour que ses enfants aiment manger, que je l’avais trouvée pour ses frères, mais que pour Milieu, j’étais dans une sombre forêt, pleine de ronces, d’épines, d’orties, où très rarement, quelques très rares fois, un rayon de soleil, une assiette terminée, une salade finie, un “c’est délicieux!” perce l’ombre d’une douce couleur d’espoir… et puis de nouveau, de très longs passages sous mauvais couverts:

- J’en ai marre que tu ne manges rien! Tu finis ton assiette! Tu finis! 

Mon cauchemar prend vie: chaque repas devient une bataille et chaque repas repousse un peu plus Milieu dans un refus et me repousse un peu plus dans mon échec, chacun dans nos cordes, dans un ring où pourtant, je n’ai pas demandé à combattre. Comment on s’en sort, de ça? De cette impasse? Comment peut-on faire manger un enfant sans le forcer, comment savoir lorsqu’on doit insister? J’ai demandé à notre pédiatre et le poids de Milieu n’est pas préoccupant. Il faut juste être patient, a-t-elle réitéré. Je perds patience, pourtant, dès que je regarde en face ces assiettes délaissées, ces refus d'obtempérer, ces moues dégoûtées. 

La seule chose qui marche un tantinet, c’est de se tenir à un rituel: amener systématiquement un yaourt à table avec quelques céréales en plus de la tranche de pain ou inversement, ne rien dire, ne rien proposer et attendre qu’il prenne, ou non, ce qu’il y a dans son assiette. Ne faire aucune remarque sur ce qu’il a mangé, ou pas. Simplement être là, proposer, laisser faire et tiens, bonne surprise, il a mangé toute sa tartine, ce matin! Petit pas, petite victoire.

J’ai eu beaucoup de chance avec mes enfants: beaucoup des problèmes de petite enfance qui me faisaient angoisser se sont résolus seuls, sont passés ou se sont atténués avec le temps, avec l’âge. Et celui-là? Est-ce que c’est un de ces problèmes que je vais me traîner jusqu’aux 18 ans de Milieu, ou plus? Quelque chose qui ne se résout jamais vraiment et qu’il faut accepter?

- Tu n’as plus faim? D’accord, laisse comme ça, alors.


Ne pas persévérer alors, mais juste endurer…


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