Les chips de la discorde

 

Batailles choisies #527

Mari sort trois paquets de chips trente minutes avant l’heure prévue du dîner. Divorcera, divorcera pas? 🥨


 

Sur la table basse de la terrasse, sont disposés élégamment trois bols remplis à ras-bord. Dans l’un, il y a des chips au sel; dans l’autre, des cheetos couleur orange et saveur fromage; dans le troisième, des pringles couleur fromage et saveur orange. C’est bientôt l’heure du dîner. Les enfants se ruent sur les délices, en descente, en razzia, en saccage. J’essaie de partager la joie de mes enfants qui s’empiffrent, j’essaie de rire avec Mari qui regarde, amusé, les bouches bigarrées et sales de ses fils chéris. Oh, mais, les chips, vraiment… ne m’amusent pas, ne me décrochent pas le moindre sourire. Les chips, je ne peux pas… je ne supporte pas.


Il y a, dans ces trois bols de chips, tout ce qui ne va pas chez mon conjoint, tout ce qui gratte dans notre couple, toutes les dissensions de notre mariage. Il y a, dans ces chips dégueux, un potentiel explosif, une infinité de disputes possibles, un sans-fond de reproches conjugaux. Parce que sortir des chips une demi-heure avant de manger, c’est une petite manie, oui. Mais les petites manies sont souvent de grands défauts et veulent dire beaucoup. Parce que le problème des petites manies c’est que, comme les chips, on n’arrive pas à s’arrêter et on descend le paquet jusqu’au dernier reproche. 


Ben évidemment, comment tu veux qu’ils mangent, hein! Mari souffle et soupire, mais bon, tu t’attendais à quoi, pensé-je tout bas en me taisant tout haut, de voir mes enfants refuser de manger le dîner. Et puis, j’ai horreur de ces chips industriels dégueus, qui pourrissent la santé, le palais, l’appétit, les neurones et la planète! Moi qui essaie de donner de bonnes habitudes alimentaires aux enfants, qui fais la chasse aux emballages, qui évite de mon mieux les produits ultratransformés… S’ils ont faim, ils ne peuvent pas manger du concombre, des carottes, ou, je ne sais pas, moi, une pomme, coupée en quartier, hein? A-t-on jamais vu une pomme créer de la discorde! 


Comme d’habitude, quand les chips sont sortis, mes reproches menacent de bondir hors de la tanière où ils se terrent pour le bien de notre entente. Ça hérisse Mari que je sois si intransigeante, que non, je préfère que les enfants chouinassent le quart d’heure que je prépare le dîner plutôt que de les gaver de n’importe quoi… Pourtant, plus le dîner tourne au fiasco, plus les reproches sont sûrs de leur réussite… 


Saletés de chips, saleté de Mari! On a déjà suffisamment de problèmes avec Milieu, qui ne veut jamais rien manger, pour qu’on lui serve sur un plateau un tel coupe-faim! Et Grand, qui a été obèse à une époque, qui serait capable de manger les trois paquets à lui tout seul, on trouve vraiment que c’est une bonne idée? Ou au moins me demander à quelle heure on dîne, vérifier que ça ne va pas poser problème pour le repas! Ou au moins, si on a décidé de les sortir, au moins mettre des petits bols! Il peut pas, hein, il peut pas se dire qu’il faut respecter les horaires des enfants au lieu de se faire plaisir, lui?


Alors que je n’y tiens plus, que face à un Mari lassé d’un dîner qui se passe mal, je vais sortir la dernière chips et dire tout haut que ben ne sors pas ces cochonneries la prochaine fois, alors que la discorde va entrer en mode public, Mari, qui après 17 ans de vie commune, sait qu’il vaut mieux prévenir que guérir, me dit nonchalamment:

- Ben, écoute, ils mangeront une banane avant de se coucher, comme ils ne mangent rien au dîner.


C’est un samedi soir, on a le temps. 

C’est vrai. C'est vrai que c’est une bonne solution.

C’est vrai que ça marche, qu’après un dîner raté, la solution jaune bourrative et nutritive fonctionne, que moi aussi, quand j’ai lâché sur mes principes et que j’ai laissé les garçons manger trop de yaourt, trop de céréales, trop de chocolat, je me dis que tant pis et qu’ils mangeront une banane.

 

Ça permet, dans un couple, de passer outre les aigreurs et de faire bonne chère.


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Heloise Simonnourriture, mari, dispute