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Batailles choisies #515

Mes enfants et les écrans: tentative de confession, de rationalisation, de réconciliation et de déculpabilisation. 📺


 

J’aimerais que mes enfants ne regardent jamais la télé. J’aimerais que les après-midis de week-end, lorsque Dernier dort, Milieu, Grand et moi fassions de la pâte à sel, de la peinture, des jeux de société et des parties endiablées de cache-cache. J’aimerais avoir cette envie, ce courage, cette énergie. Pourtant, dès que Dernier dort, c’est télé. Parfois, certains soirs où je suis débordée, où j’essaie de suivre une réunion, c’est aussi télé. Malgré mes principes, malgré mes efforts, planter mes enfants devant la télé pour pouvoir travailler ou simplement souffler est donc un acte trop fréquent pour que je puisse vraiment dire, comme j’en rêve, que mes enfants ne regardent pas la télé et que je sois tenue de dire, plutôt: j’essaie de limiter au mieux, contrôler au pire, leur temps d’écran. Malgré les quelques réussites à mon actif sur cette matière particulièrement instable, j’ai le succès en demi-teinte et l’impression d’échec toujours prête à bondir de ses herbes hautes. 


Dernièrement, une vidéo tournait sur les réseaux sociaux qui a décidé le tigre à sauter sur ma tranquillité d’esprit. On y voyait une médecin, sur un ton d’urgence et d’inquiétude, donner une série de faits alarmants et de recommandations ad hoc pour sauver nos enfants des dégâts irréparables que nous provoquons, épisode après épisode de Pat’Patrouille, notamment:

  

Pas de télé avant 5 ans : raté. Grand et Milieu ont regardé des vidéos dès 2 ans, merci confinement.

Pas plus d’une heure à la fois: raté. Ils regardent des films, certains jours (mauvais pour moi, bons pour eux), ils en enchaînent deux.

Toujours regarder la télé avec ses enfants et échanger avec eux: raté. Non, je ne regarde pas Justin Time pour leur expliquer les Incas ni Planes pour parler de portance. Je suis heureuse de ne pas les entendre ni les voir pendant deux heures. Ils regardent dans une pièce où je ne suis pas et je souffle d’exaspération s’ils viennent, malgré les couleurs hypnotiques, me déranger.


Que les choses soient claires: je partage un certain nombre de réflexions de cette professionnelle de santé. Non, les enfants n’apprennent rien à regarder Les Octonautes, oui, l’exposition aux écrans est néfaste. Oui, ils seront toujours plus heureux en faisant de la cuisine ou de la peinture qu’en regardant des vidéos sur les animaux. Oui, je suis satisfaite de mon travail de mère quand j’arrive à tenir à mes principes: pas de télé les jours d’école, le vidéoprojecteur et jamais les téléphones, des films ou séries pas trop bêtes et pas des vidéos défilant sur Youtube. Alors comment me sortir de ma culpabilisation facile?


Une phrase dite dans cette vidéo me tourne en tête et me pousse sur la pente de la réconciliation: “Les enfants ont besoin d’un temps de qualité avec leurs parents”. Un temps de qualité, oui, c’est ça. 

D’abord, il n’y a pas de temps de qualité avec leur maman si celle-ci n’a jamais de temps de qualité avec elle-même. Alors si La Belle et la Bête qui tourne dans la pièce d’à-côté permet à Maman de rester humaine, très bien: la balance des temps de qualité, celui de Maman et celui des enfants, est à l’équilibre

Ensuite, je me dis qu’il existe effectivement un réel problème lorsque les écrans remplacent systématiquement un temps de qualité avec les parents. Parce qu’un temps de qualité avec ses parents, ce n’est pas seulement construire des Lego et cuisiner une quiche, c’est aussi se chamailler, ne pas être d’accord. Les disputes avec ses enfants sont des temps de qualité: ce sont des temps où les enfants ont une interaction riche avec leurs parents, où ils apprennent, les limites, les interdits, les ras-le-bol, les forces et les faiblesses, l’humanité, enfin, de leurs parents. Et si, dès qu’un problème surgit, dès qu’une demande qui ennuie, qui irrite, qui fatigue, explose au visage des parents, les écrans sont la solution pour éviter de grandir en tant qu’enfant et de grandir en tant que parent, alors, c’est vrai que les écrans remplacent le temps de qualité. C’est là, me semble-t-il, que l’exposition aux écrans est néfaste. Tous les soirs, quand on rentre de l’école avec les enfants, quand je m’épuise, m’énerve, souris parfois aussi, à arriver jusqu’à l’heure où les enfants sont douchés, couchés, mouchés, je leur donne le meilleur de moi-même - meilleur qui, souvent, n’est pas bien bon. Parfois, quand je me suis trop autorisée à me remplacer par un épisode de chiens détectives, quand j’ai dépassé mon temps accordé pour souffler, car je le sens, ma culpabilité revient, avec raison. Bon, ça suffit la télé, les enfants. Il faut retrouver sa meilleure maman possible. 


Est-ce que je dessine les limites à ne pas dépasser juste autour de mes enfants pour être certaine de rester dans le bon camp et ne pas me sentir mal? Peut-être. 

Mais au-delà des discours alarmistes et des culpabilisations en cascade, c’est sans doute autour de la notion d’un “temps de qualité” que chaque parent peut trouver un peu de paix - ou l’autorisation de mettre encore un épisode de Pat’ Patrouille.


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