Bloqué⸱es

 

Batailles choisies #543

Deux batailles, deux blocages: Grand VS mon mari; Dernier VS moi. Qui gagnera? Je crois que, dans ces circonstances, tout le monde est toujours perdant. ꩜


 

Mari VS Grand



- Tu ne ramasses pas la serviette et tu ne vas pas chez Abuelita.

- Alors je ne vais pas chez Abuelita. De toute façon, je ne veux pas y aller. 

Le face-à-face entre mon mari et Grand est arrivé au point de non-retour attendu: au fond de l’impasse, face au mur du cul-de-sac, devant la palissade. Mon mari est furieux parce que Grand a jeté une serviette sur le sol, avec nonchalance, sans se soucier le moins du monde qu’il va la salir, sans se soucier non plus de la ramasser, riant et faisant des pieds de nez aux demandes de son père, de plus en plus énervé, de plus en plus embourbé dans ce conflit. 

- Ok, bon, ben tu n’y vas pas. 

- Non, je n’y vais pas.

- Très bien.

- Très bien.

La punition est dite.


Je déteste les punitions. Elles ne sont jamais proportionnées, elles ne servent à rien, elles ne sont qu’une humiliation, faites pour écraser celui qui les subit. Il n’y a aucun rapport entre une serviette sale et un week-end chez Abuelita, entre des chaussures pas rangées et une télé qu’on éteint, entre une parole impertinente, même insolente, et un moment privilégié promis qu’on enlève. 

Grand comme Mari refusent de bouger, bloqués, enfermés tous les deux. Ils sont à cinq minutes de partir chez Abuelita, autant dire qu’un tel changement de plan me jette avec eux dans l’impasse. Mari fait semblant de préparer les affaires, à grand bruit de tu n’y vas pas et tout ce qui s’ensuit, pendant que j’essaie de trouver une voie plus pacifique, pendant que Grand continue de s’enfoncer lui aussi dans la bourbe.

Je m’interpose auprès de Mari, discrètement, sans que Grand ne perçoive notre désaccord. 

- Chéri, ça ne sert à rien, là…

- Il faut qu’il comprenne.

- Oui, mais comprendre quoi? Que pour une serviette, on rate un week-end qu’on attendait tant?

- Comprendre qu’il faut m’écouter, que c’est moi qui décide. De toute façon, il va quand même venir.


Je sais bien que les punitions ne sont qu’une façon de reprendre le contrôle, d’avoir l’impression de reprendre le contrôle. Que c’est une solution à cette impression douloureuse, désagréable, de se faire mener en bateau, de se faire piétiner par un gosse. Ce n’est plus une histoire de serviette sale, on l’a oubliée depuis longtemps. On est passés à des angoisses plus profondes, au manque de considération, à l’égoïsme, à la peur d’élever des sales gosses. Et ce combat-là est bien plus terrible. 

Mon mari reste enfermé dans sa colère, Grand reste enfermé dans son obstination parce que mon aîné sait bien que le proverbe “à mauvaise tête, mauvaise tête et demi” devrait exister.

Je ne juge pas.

Je n’ai pas de leçon à donner.

Je n’ai pas de meilleures idées.

Je n’ai pas de bonnes idées. Je veux juste éviter les mauvaises - et n’y réussis pas toujours.


Mari est fatigué. 

Grand part quand même chez Abuelita.

Faut-il laisser passer? Accepter de perdre le contrôle, pour le garder, peut-être, plus tard?

Je ne sais pas. 



Moi VS Dernier



Je ne le supporte plus. Je ne supporte plus mon dernier-né. Cela fait bien quinze vraies, entières, longues, minutes, qu’il pique une crise, se roulant et donnant des coups de pieds et de poings sur le tapis du salon parce que je lui ai arraché des mains l’asperseur avant qu’il ne mette de l’eau partout sur le canapé. Évidemment, il l’a mal pris, sûrement la fatigue, la faim, peu importe quoi, faisant exploser sa détresse. Évidemment: il n’a que deux ans. 

Je pense avoir réussi, avec mes autres garçons au même âge, à trouver des parades, des chemins détournés pour nous ramener à bon port. Sauf que Dernier est mon dernier. La corde de ma patience est raguée, usée. Je ne fais rien, je le laisse pleurer. Je tente mollement deux ou trois diversions, on lit un livre, tu veux des framboises, mais rien ne marche, et je ne fais pas plus d’effort. Je vais dans la cuisine et m’attèle à quelque chose dont je ne me souviens pas.


Nous sommes bloqués tous les deux, enfermés chacun dans notre refus, dans notre impossibilité de venir vers l’autre. Sauf que lui a deux ans et que j’en ai trente-huit. C’est à moi de trouver comment faire, comment débloquer la situation. Et je n’y arrive pas. Ce n’est pas la première fois que les bras m’en tombent, de ce petit. Je n’arrive plus à gérer les émotions de mon fils. Je n’arrive plus à gérer les miennes. J’ai le sentiment d’avoir tellement pris sur moi, ces sept dernières années, depuis que je suis mère, que je ne sais plus où aller, où chercher une solution, à quoi recourir en moi. Je me revois avec mon aîné, puis avec mon deuxième, déployant des trésors de patience, sachant quoi dire, que faire, où aller. Et je me vois, maintenant, bras ballants, patience consumée, amour à bout.

Je suis fatiguée.

J’ai mal dormi toute la semaine. Quelques mauvaises nuits de Dernier, couplées à un ou deux insomnies, couplées à un petit peu de plaisir pour moi: une série que je regarde sur Netflix, moi qui n’ai pas vu de série depuis 5 ans. Je me donne ce droit, j’y ai droit, non, de me coucher un peu plus tard? Apparemment non: je paie cher ma série du soir. Avec encore un peu plus de fatigue, avec un léger mal de crâne, me voilà, yeux qui font semblant de ne pas voir, oreilles qui veulent ne rien entendre d’un caprice qui dure depuis trop longtemps.


Aurais-je fermé les yeux sur la réalité de ma vie de mère? Moi qui croyais enfin en sortir, je dois prendre une claque, encore une, de réalité, et accepter d’être encore bloquée dans la petite enfance? J’ai perdu le contrôle sur ma maternité. Dernier me fait vriller, me plombe le cœur. Ou je ne fais rien, et regarde mon fils pleurer, ou je fais et je risque de vriller, de lui hurler dessus comme je l’ai déjà trop fait.


Comment reprendre le contrôle, et me ressaisir? Rester mère, même quand je n’y arrive plus?

Je ne sais pas.


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