Réunion

 

Batailles choisies #632

Les réunions à l’école sont rarement pour annoncer de bonnes nouvelles… 📒


 

Les réunions avec les parents sont le plus souvent un champ d'œufs. En tant que professeure de français et professeure principale de classes de collège, des réunions avec des parents d’enfants difficiles, j’en ai eu un paquet. Les enfants sont difficiles de manières différentes, pour des raisons diverses. Leurs parents, tout autant

Ces réunions sont toujours délicates. Il faut savoir contourner les champs de mines, savoir amener la maison sur le terrain de l’école, parce que les deux sont inextricablement liés et comprendre ce qui, à la maison, empêche l’école de bien se passer. Il faut savoir pour cela sonder le parent présent, savoir s’il est venu dans une disposition coopérative ou belliqueuse, chercher à passer le brouillard des explications sentimentales, essayer de voir d’où vient le problème, et trouver une solution qui soit acceptable des deux côtés. Dans ce genre d’entrevues, j’ai connu des moments tendus, des moments humains, j’ai poussé de grands soupirs de soulagement ou ai retenu de grandes colères face à un blabla au mieux insipide, au pire agressif.


Et là, quoi, encore une?


Ah, mais il y a une légère différence. 


Cette fois, la maman d’élève, c’est moi.


La maîtresse de Dernier nous a convoqués par un bref mot sur le carnet de correspondance de notre fils, qui nous a laissés, Mari et moi, plein d’inquiétudes. 

C’est pas bon signe quand même… Tu crois qu’il se passe quoi?

Ben… Dernier ne doit pas être facile. Il ne doit pas écouter beaucoup les instructions, ne doit en faire qu’à sa tête. Ou bien… elle veut parler à tous les parents? On verra demain, écoute.


Le demain est arrivé.

Deux chaises sont installées face à face.

Les rôles sont inversés. 

C’est moi qui cherche à savoir pourquoi je suis là, ce que mon fils a bien pu faire et ce que j’ai bien pu faire moi aussi et c’est la maîtresse qui avance à pas feutrés.

- J’aimerais que vous me parliez un peu de Dernier.

- Ah, ben, c’est le troisième d’une fratrie de garçons. Il est très autonome, très indépendant et têtu. Il a été et est encore assez difficile. À la crèche, il fatiguait les ass mat, même si elles me disaient qu’il est aussi très attachant. On était très contents qu’il rentre à l’école, lui aussi ne voulait que ça, rentrer à l’école, être avec ses frères. Mais rien n’est si facile avec lui. Il est parmi les plus jeunes de sa classe mais il ne veut faire que des choses de grand, puisqu’il est tiré vers le haut par ses frères et par la garderie. Et il n’est pas capable de bien exprimer ce qu’il lui arrive, il gère difficilement ses émotions, ses frustrations. Le moindre changement dans sa routine le met très mal. On a aussi connu beaucoup de difficultés sur les rythmes à la maison, on essaie qu’il se couche tôt, qu’il dîne bien, mais on a eu beaucoup de mal à trouver quelque chose de sûr et on est sans cesse en train de s'adapter à lui.

Je lui décris notre vie à la maison: compliquée, exténuante, n’ayant pour unique objectif que d’arriver à la fin de la journée avec notre santé physique et mentale à tous à peu près inentamée.

La maîtresse m’écoute avec attention, note quelques éléments dans son carnet puis coupe un peu à travers mon brouillard sentimental pour lever le rideau sur sa salle de classe, où mon petit Dernier est une vraie terreur.

- Dernier fait beaucoup de crises ici. Il ne veut faire aucune activité et se cache sous la table dès qu’il faut faire des ateliers. Les premières semaines, il s’échappait de la salle de classe. Il est sans cesse dans l’opposition et dans le défi avec l’adulte, et il ne s’intéresse pas du tout à ses camarades. Je dois être ferme avec lui, le gronder tous les jours, et je ne peux pas m’occuper seulement de lui, j’ai tous les élèves qui m’attendent. Il me faut parfois le laisser pleurer, et le reprendre après pour avoir des discussions sérieuses sur son attitude.

Le portrait qu’elle brosse de mon fils est encore pire que celui que j’imaginais, pire que celui de nos pires cauchemars.

Mon fils, le pire élève de la classe.

Mon fils, de mal en pis, alors qu’on s’était tous vendus du rêve sur son entrée à l’école. 

La maîtresse a l’air débordée, impuissante à travailler avec lui, épuisée de devoir gérer le diable en culottes courtes.


Je me rappelle soudain, et avec beaucoup de tristesse, que la maîtresse m’a été décrite par un collègue comme une femme toute douce, comme une femme qui ne s’énerve jamais, qui est depuis des années en petite section de maternelle. C’est donc mon fils qui aura réussi à la faire plier, à l’exaspérer, à la pousser à bout, à lui faire perdre son latin et son chansonnier, que Dernier refuse de toute façon de chanter.  


Le temps est venu de trouver des solutions qui nous conviennent à elle et moi. En marchant sur des œufs, car le sujet n’est pas bien agréable, elle cherche à savoir s’il est élevé avec des limites à la maison, s’il est éduqué.

- C’est que… oui, il vient d’une famille unie, aimante, présente. Mais c’est vrai qu’on est fatigués, très fatigués de ce troisième enfant, on a souvent l’impression d’être dépassés. J’ai le sentiment de n’avoir élevé que les deux premiers, qui sont choupis et tranquilles, du moins maintenant, et Dernier, ben Dernier… je ne suis pas sûre qu’on réussisse à le civiliser.

Je retiens les larmes qui me montent aux yeux. La maîtresse me propose une solution pour commencer à aborder le problème, une solution simple: un petit carnet dans lequel on note les avancées de Dernier, ses réussites, en le félicitant, pour qu’il ait davantage envie d’être coopératif, d’être constructeur et non destructeur. 


On n’est donc pas arrivés avec lui. Ce n’est que le début de la route alors qu’on était persuadés d’avoir enfin réussi, à force d’efforts, à arriver au bout de la pire période de nos vies à tous. 


Il va falloir que j’annonce la mauvaise nouvelle à Mari, qu’on cherche des stratégies, qu’on réunisse des forces dont on manque et qu’on parvienne à améliorer les choses dans le groupe trop difficile à gérer qu’on a fabriqués et qu’on est bien obligés d’appeler notre famille.

Re-start, re-group.


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