Batailles choisies #359
Un enfant de trois ans dans un magasin de jouets, ou ma petite leçon de mythologie grecque. 🧸
Je profite que Mamie a pris un peu d’avance avec les deux aînés dans le centre commercial pour entrer dans ce magasin - il faut que je trouve un cadeau d’anniversaire pour une camarade de Grand.
Le magasin a une toute petite porte d’entrée qui, bouchée par des boîtes, m’oblige à passer de côté.
Des couloirs encombrés.
Des recoins inaccessibles.
Des étagères jusqu’au plafond.
Des rangées de tétines, de biberons, de hochets qui menacent de sortir de leurs racks.
Des costumes pendouillant.
Des livres attendant.
Des boîtes de puzzle et de jouets qui débordent des étagères.
Des centaines de trucs, de bidules, de machins.
Un fouillis sans nom, un choix sans comparaison, un supplice sans pareil et un cri qui n’en finit pas.
Mais c’est quoi ce bruit? Qui a envie de s’acheter une poupée qui hurle?
Ah, non, ce n’est pas une poupée…
Devant la caisse où la vendeuse finit un emballage cadeau, attend une maman. C’est une trentenaire, une blonde des beaux quartiers, qui est avec ses deux filles, l’aînée de l’âge de Grand et la cadette de l’âge de Milieu.
L’aînée, imperturbable, regarde autour d’elle cette caverne d’Ali Baba sans broncher, pendant que sa petite sœur, celle que j’ai pris pour la poupée qui hurle, est en pleine crise.
Le visage rouge, les yeux bouffis par les larmes, la voix hachée par des sanglots, elle hurle qu’elle veut ça, elle veut çaaa, elle veut çaaaaaaaaa!
La mère, tant bien que mal, donne quelques explications à la vendeuse, son numéro de carte de fidélité, son numéro de téléphone, demande des informations concernant la politique d’échanges, en couvrant de sa voix celle de la fillette.
L’enfant, furieuse qu’on lui nie le çaaaaaaa qu’elle veut, après avoir pleuré tout son saoul, tête penchée, bouche ouverte vers le Ciel injuste, inique, qui lui montre un çaaaa devant la caisse si alléchant tout en le lui refusant, passe à une autre tactique: tuer le messager.
Elle se met à donner des coups de poings et de pieds à sa mère, à tenter d’empocher le çaaaaa que sa mère repose, puis tous les çaaaa devant son nez, avant de se rouler par terre et de réclamer, encore une fois, çaaaa.
Sa mère reste tranquille, tente de la raisonner, de lui dire qu’elles achètent un cadeau, mais que si elle veut le ça, elle peut le demander au père Noël.
La mère retient fermement mais gentiment sa fille, l’empêchant d’atteindre tout ce qui pend à l’arbre du péché devant ses yeux, du rose, du brillant, du rigolo, du nouveau.
Voir d’autres parents galérer produit chez moi un effet bizarre de soulagement. Je regarde la dame comme un miroir, ni flatteur, ni menteur: un miroir de ma vie. J’ai les mêmes enfants sans les robes à fleurs.
La dame réussit l’exploit d’emmener sa fille sans rien lui acheter, réussit même à revenir sur ses pas alors qu’elle était déjà sortie pour un problème de ticket de caisse.
Mon cœur va vers cette maman, je veux lui manifester mon soutien, ma compréhension. Je lui glisse que mon fils est pareil, elle me dit “oui, c’est l’âge” avec une sagesse qui m’impressionne.
Être mère, parfois, est un supplice.
Quand on s’en sort si honorablement, on a bien le droit à une place à l’assemblée des déesses.