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Un an déjà?
 

Batailles choisies #389

Il y a un an… 🎂


 

Il y a un an, à l’aube, un peu inquiète, j’abandonne l’espoir de me rendormir - impossible, je cogite trop. Couchée dans le lit, j’écoute le calme de la maison où tout le monde dort encore - inutile de commencer la journée en sonnant le clairon du branle-bas de combat.


Il y a un an, je gamberge ce que j’ai lu sur mon téléphone durant la nuit et j’en arrive à la conclusion redoutée: ça doit être la poche des eaux qui s’est fissurée. Je ne serais pas mouillée comme ça, sinon. Mon terme est dans deux semaines. Il serait déjà là, Dernier? Je me dis, avec toute l’ingénuité du faux-espoir, que c’est peut-être une fausse alerte. Que peut-être il faut vérifier mais que peut-être je reviens à la maison après.  


Il y a un an, j’écris, avec toute l’ingénuité du faux-espoir où se glisse heureusement l’inquiétude du bon sens, un message à mon gynécologue et à ma sage-femme pour leur demander ce que je dois faire, leur lançant la balle: vous me dites, hein, vous prenez la décision pour moi, hein, parce que moi, ben, j’avais pas prévu d’accoucher aujourd’hui, du coup, ça m’arrange moyen, hein, mais s’il faut, je veux bien, vous me dites.


Il y a un an, je réveille doucement mon mari et lui dis que je crois que la poche des eaux s’est fissurée mais j’ai écrit au docteur, pour savoir ce que je dois faire, hein, c’est peut-être rien. La panique se lit dans ses yeux - mais c’était censé être dans deux semaines! Je sais mais bon, ça peut être aujourd’hui, aussi. Je reçois alors un message sans appel du médecin: va aux urgences, je t’y rejoins.


Il y a un an, il n’est pas encore 7 heures du matin et mon cerveau s’éveille pleinement pour réorganiser la journée d’une famille de quatre plus Papi en séjour chez nous. Bon, on dépose Milieu à la crèche comme si de rien n’était, je leur demande s’ils peuvent le garder jusqu’à 17 heures, pour que Papy ne se retrouve pas trop longtemps avec les deux, il fera des jeux avec Grand toute la journée pas de problème, au moment où il aura les deux, ben il faudra s’accrocher un peu mais, allez, ça va bien se passer, mais si, mais si. J’annonce à mon père et mon aîné que je dois aller à l’hôpital, c’est sûrement pour aujourd’hui.


Il y a un an, j’éclate de rire quand mon mari arrive dans la cuisine pendant que je prépare la boîte déjeuner de Milieu, et que je le vois, regard hagard, traits soucieux que la douche n’a pas réussi à effacer, s’enfiler d’office deux comprimés contre le mal à la tête. Ben alors, Chéri, ça va pas, tu comptes passer une mauvaise journée, c’est ça?


Il y a un an, on claque la porte de la maison, quelques kilomètres plus loin, on claque la portière de la voiture une fois Milieu déposé à la crèche et on roule. Ce ne sont que vingt minutes de route, mais c’est un moment si doux. Soleil superbe de l’été chilien, fraîcheur du matin encore, mon mari et moi sommes seuls, alors que ça fait presque un an qu’on n’a jamais été seuls. On est légers tous les deux, on sourit. Bon, c’est certainement aujourd’hui qu’on va rencontrer notre troisième fils. Évidemment, dans deux semaines, ça nous aurait arrangé un peu plus. Enfin, en réalité, le chaos d’un nouvel être qui arrive sur Terre, ça n’arrange jamais personne - ça se fait et puis c’est tout. Il y a du bonheur dans l’air, une sorte de liberté étrange… et au fait, ton père, il va manger quoi? Ah mince! Il n’y a rien à manger et Papi ne sait pas faire bouillir de l’eau! Au milieu de la précordillère, me voilà rivée sur mon portable à chercher des traiteurs qui livrent et des plats tout préparés que les enfants aimeront, en riant avec mon mari qu’il va peut-être falloir donner quelques instructions de sécurité sur l’utilisation du micro-ondes.


Il y a un an, après les premiers examens des urgences, j’arrête de penser que c’est peut-être rien et je comprends: c’est pour aujourd’hui. Ce n’est pas rien, non, ce n’est pas non plus la marche en montagne d’hier, non, non, c’est quelque chose: c’est mon fils.


Il y a un an, le monde du dehors disparaît. C’est en moi que ça se joue. Je veux accoucher sans péridurale, je me suis préparée, je suis soutenue par l’équipe, par mon mari. J’ai peur et j’ai confiance, j’ai envie et je redoute, je me dis que ça va, ça ne fait pas si mal, ah, là j’ai quand même très mal et je n’en suis qu’à six centimètres?


Il y a un an, la belle journée du dehors restera dehors. Stores baissés, je me concentre, je respire, je fais du ballon, je bloque ma respiration puis expire, j’écoute un peu la musique qu’a mis ma sage-femme, je garde souvent les yeux fermés, j’écoute le brouhaha étouffé de la clinique, les chuchotements, je ne réponds pas à ceux qui essaient de discuter, ni mon gynéco passé me voir et me dire à tout à l’heure qui parle trop fort, ni une infirmière qui me demande si ça me va la température de la salle, ni à mon mari qui a pris le relai des commandes de plats préparés.

Hé, ho, je vais accoucher aujourd’hui, un nouvel être va naître avec mon corps, vos histoires de température, de lasagnes et de bonne chance ma grande, je m’en contrefiche. 


Il y a un an, je n’ai plus honte de bêler ces sons qui anesthésient les douleurs des contractions fortes, auxquels je me suis entraînée en me sentant un peu idiote, un peu ridicule, un peu à côté de la plaque car je ne suis pas à côté mais bien en plein dedans. Plongée dans un bain très chaud, je fais vibrer mon corps à chaque contraction. Je suis entourée des voix de ma sage-femme et de mon mari, qui comme moi, émettent des sons de toute leur âme. Nous bêlons en chœur, c’est ridicule, oui, c’est indigne, oui, mais ça marche.


Il y a un an, la sage-femme, doucement, me sort du bain. Je suis réellement en souffrance, je me sens lourde, malhabile. J’ai senti les os de mon bassin craquer, c’était terrifiant. J’essaie de ne pas me demander si je vais souffrir encore plus, je crois que je suis arrivée à mon maximum. Ma sage-femme me dit que j’ai fait le plus dur, bravo, c’est parfait. Elle veut m’examiner, je pantèle, je sens monter la panique, je crois que je ne vais pas y arriver, je m’assois sur un siège d’accouchement qui ressemble horriblement à un bidet très haut, çe me donne froid aux fesses, je déteste. La sage-femme tente doucement de m’entraîner ensuite vers la table mais Dernier qui, il y a un an, avait décidé d’arriver en légère avance, qui nous avait rappelé à tous que c’est lui qui décide, décide encore: une sensation de lacération à vif me traverse, me clouant sur la table d’accoucement, m’arrachant un cri venu droit de la mort dont je me dis qu’elle va m’accueillir, là, maintenant, c’est bête quand même de mourir en couche. 


Il y a un an, les gens autour de moi disparaissent pour de bon. C’est mon corps, géant, qui s’éveille et me sort d’une sensation de léthargie et d’impuissance. C’est mon corps qui dit: pousse. Je pousse en soufflant dans mon poing, une fois, deux fois. 


Il y a un an, à 19h17, je pose sur mon sein une petite chose toute blanche, dégoûtante et toute glissante. Je tremble de joie, d’étonnement, que ce soit fini, qu’on ait réussi, qu’il soit là, ce Dernier, que je regarde, caresse, embrasse et remercie avec un sourire béat et des paillettes plein les yeux.


Est-ce bien vrai? Mon Dernier, aujourd’hui, tu as déjà un an?


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Accoucher comme une femme
 

Batailles choisies #209

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En deux mots:

L’accouchement, geste féministe ultime, où pourquoi le patriarcat ne se presse pas pour que les femmes sachent accoucher.


 

J’ai accouché trois fois: mon premier accouchement a été médicalisé très tôt dans le travail; mon deuxième m’a laissé un sentiment d’échec; mon dernier a été physiologique, sans péridurale donc, selon mes souhaits. C’est à partir de mon propre parcours dans la maternité que j’ai envie de réfléchir à ce qu’est, aujourd’hui, une naissance.

Si je voulais ramasser en une question toutes les ramifications médicales, éthiques et politiques qu’il y a derrière nos accouchements, je pourrais la poser ainsi: est-ce la même chose de faire naître au monde un nouvel humain et de se faire opérer de l'appendicite?

Deux visions de la femme et de la naissance




Je me souviens d’une tribune ou d’un article du Canard enchaîné qui avait fait grand bruit: une femme qui fustigeait cette nouvelle mode des féministes d’accoucher dans la douleur, entendez sans péridurale. Ridicule, non, d’avoir volontairement mal alors que la médecine moderne nous permet de ne pas accoucher dans la douleur? 

Sauf que, en termes d’accouchement, il n’y a pas que deux options qui s’offriraient aux femmes: ce n’est pas d’un côté avoir mal et de l’autre non. Cette alternative naît en réalité de deux visions de la médecine, de la femme et de la naissance. En coulisses de chacun de ces choix se jouent deux mondes différents. 




Ce long billet, et les récits de mes trois accouchements (Grand, Milieu et Dernier) disent qui je suis et comment j’ai évolué. Ils disent aussi comment mes engagements féministe et littéraire m’ont transformée, et pourquoi chaque femme, à l’aune de la nécessaire révolution féministe à venir, a les capacités de porter un regard critique sur la médecine obstétrique. 




Je tiens un journal intime depuis plus de dix ans maintenant. J’y ai décrit et raconté dans les heures ou les jours suivants chacun de mes trois accouchements. Parce que les souvenirs, même les plus forts, finissent par s’estomper ou se déformer, garder trace de ce qu’ont été ces moments exceptionnels à l’échelle d’une vie, si banals à l’échelle de l’humanité, était important.

Mais au-delà de cette fonction mémorielle, j’avais l’impression, d’abord maladroite mais désormais très claire, qu’était liés ces moments de ma vie de femme avec ma carrière et mes ambitions d’écrivaine, que ces naissances et mon travail littéraire étaient intimement mêlés: femme, féministe et écrivaine, je me suis enrichie, j’ai envie d’écrire “épaissie”, avec ces naissances.

Pourquoi autant de péridurale?




Quelques avertissements préliminaires: d’abord, n’ayant connu ni violences obstétricales ni césarienne, je n’en aborderai pas les enjeux. Je ne veux partir que de ma propre expérience, mon vécu d’accouchements sans difficultés majeures, mais pas sans signification. 

Ensuite, même si mon objectif, avec ce billet, est de remettre en cause la surmédicalisation des naissances et plaider pour des naissances physiologiques, ma perspective (de femme, puisque je ne fais pas partie du corps médical) n’est pas de dire qu’on doit toutes accoucher seules dans le fond d’une grange. L’avènement de la médecine obstétrique est un facteur essentiel dans la baisse de la mortalité infantile et maternelle. 

Ainsi, mon idée n’est pas de pousser dans le physiologique quoi qu’il en coûte (en vie de mère ou d’enfant), mais de me demander pourquoi on pousse autant dans la péridurale à tout prix (80% des femmes accouchent en France sous péridurale).

De l’importance de se sentir compétente




Il y a un mot-clé pour remettre la physiologie de la femme au centre du processus de la naissance: la compétence. Très exactement: le sentiment de sa propre compétence.

Pour réussir à accoucher sans anesthésie, pour réussir mon accouchement physiologique, j’ai dû me sentir compétente. 

C’est le premier critère. Oui, je peux accoucher de manière physiologique. Non, la péridurale n’est pas obligatoire, ni automatique. Non, je ne suis pas une petite nature, je ne suis pas forcément otage de la douleur, je peux la contrôler afin d’être active lors de mon accouchement. 

Non, je ne suis pas incapable.

Je peux y arriver.

Et je vais y arriver. 




Le sentiment de ma propre compétence de femme a été un cheminement. Il a grandi et mûri avec mes trois bébés. 

Pour mon premier, je redoutais tellement la douleur que j’ai bien vite abandonné ce plan de naissance que, pourtant, en relisant mon journal intime, je caressais déjà, bien qu’avec une maigre assurance. Pour mon deuxième, je souhaitais un accouchement sans anesthésie, mais comme je l’expliquerai, les conditions matérielles n’étaient pas réunies et je n’ai pas pu. C’est pour mon troisième que j’étais à la fois certaine de mon projet et décidée à créer l’environnement dont j’avais besoin.

Accoucher de manière physiologique a été une décision rationnelle et réfléchie.

Je me suis dit: c’est mon troisième et probablement dernier enfant. Je veux sentir ce que je n’ai pu ressentir auparavant: le passage dans le vagin, l’expulsion. Je suis attirée par tous ces témoignages de femmes qui disent que leur accouchement physiologique était merveilleux ou magique. J’ai envie, moi aussi, de connaître ça! Je m’en convaincs, les conditions sont réunies: c’est mon troisième accouchement, les deux premiers se sont faits par voie basse, sans complication. Le deuxième a été très rapide, moins de trois heures. Pour un troisième, ce sera probablement le cas.

Durant cette dernière grossesse, je m’attache donc à me sentir capable et compétente. Si je repense d’ailleurs à mes deux premiers accouchements, je m’étonne d’avoir été si ignorante. De n’avoir, à ce point, rien su. Je ne savais rien de mon propre corps, rien d’un corps parturient, n’avais pas la moindre notion de la manière dont un corps de femme est prêt pour l’accouchement, ou au contraire, de ce à quoi un corps doit se préparer. Oui, j’avais été aux cours de préparation à la naissance, mais je n’en suis ressortie qu’avec quelques techniques dont je ne saisissais ni le fond, ni les enjeux. J’avais aussi suivi un conseil entendu un peu partout et nulle part, et que je trouve aujourd’hui parfaitement inepte: surtout ne te renseigne pas trop sur l’accouchement, il vaut mieux ne pas savoir.

Je me sentais incompétente et je l’étais.

C’est un cheminement personnel vers le sentiment de ma propre capacité qui a constitué un premier pas décisif vers une naissance physiologique.

Créons pour les femmes les conditions optimales d’accouchement




Sauf que ce sentiment de compétence exige plus que des encouragements, des auto-encouragements et des “vous pouvez le faire, Madame”. Il exige les conditions matérielles de la réussite des femmes. Il vient avant tout de politiques de santé et donc de politiques publiques. 

Pour l’anecdote personnelle, ma mère a accouché de mon frère aîné, en Guadeloupe à l’époque, sans péridurale puisqu’il y a bientôt quarante ans, ça n’était pas possible. Pour accompagner ma mère, il y avait une sage-femme qui tricotait assise dans un coin de la salle de naissance, disait d’une voix monocorde “ne hurlez pas, Madame, ça ne sert à rien” et qui, à l’heure pile de la fin de sa garde, s’est levée et est partie, laissant seuls ma mère et mon père.

Ce n’est pas ce que j’entends par “conditions matérielles d’un accouchement physiologique réussi”.




Je tiens à m’attarder sur ces conditions, sur les possibilités réelles qu’on donne aux femmes.

Était-il possible, matériellement et pas seulement mentalement, de choisir un accouchement physiologique pour mes deux premiers enfants?

Je dirai aujourd’hui, avec le recul, que non, que cela m’était inaccessible. 

Pour mon premier accouchement, j’ai passé de longues heures en début de travail attachée à la machine de monitoring. Or, immobilisée ainsi, en position semi-assise, les contractions sont très douloureuses alors que le travail n’est pas avancé et qu’à ce stade, de la marche, du ballon ou d’autres méthodes analgésiques non médicamenteuses font le même job. D’autant que la sage-femme s’occupe en général de plusieurs autres parturientes, elle court même de femme à femme et ne peut constituer la plupart du temps un réel soutien. Dans les faits donc, pour mon premier enfant, j’avais beau être dans une clinique qui disait dans sa brochure qu’elle respecterait mes choix, étant seule face à ma douleur, je me suis sentie rapidement incapable de la gérer, je n’ai pu échapper à la sensation de panique et je n’ai trouvé aucune autre solution que la péridurale. De la même manière, pour mon deuxième accouchement, ma sage-femme qui me regardait du coin de l’oeil sans intervenir, et surtout la salle de naissance, où il n’y avait rien d’autre que la table gynécologique ne m’offrait aucune possibilité de soulagement. J’ai été, les deux fois, mise en échec, refoulée dans une impasse et on m’a tendu l’anesthésie comme une main familière, alors qu’en réalité, je vois désormais que cette main familière est celle qui m’avait mise dans l’impasse. 

Si les conditions matérielles ne sont pas réunies, et même si on dit aux femmes qu’on respectera leur choix, on se voit forcées dans la voie d’un accouchement médicalisé. On est prises dans ce système qui a tendance, si on lui donne le doigt, à vous manger le bras: on commence par un peu d’hormones, puis un peu plus, puis on en ajoute d’autres, pour accélérer le travail, pour le mettre au bon rythme, pour que la femme s’adapte à la structure médicale, alors que ça devrait être l’inverse

Avoir un plan de naissance ne suffit pas. Il faut bien que chaque plan de naissance ait les mêmes possibilités réelles, et non théoriques, d’accompagnement.





C’est seulement pour mon troisième enfant que j’ai réussi à mettre en place ces conditions matérielles: l’accouchement s’est fait dans une clinique privée équipée de salles nature, la sage-femme et le gynécologue qui m’ont suivie pendant la grossesse ont été présents pour l’accouchement. C’est un privilège qui se paie alors qu’il devrait être accessible à toutes. Et même ainsi, j’ai dû imposer mon plan de naissance et j’ai plusieurs fois craint qu’il déraille.  

Un accouchement sans femme




Mais pourquoi l’accouchement physiologique est si minoritaire, semble tant à contre-courant qu’il donne l’impression qu’intérêt de la femme et intérêt de la médecine s’opposent?

Ce qui me révolte le plus a posteriori dans mon premier accouchement, et que j’ai beaucoup entendu dans des partages d’expérience avec d’autres femmes, c’est d’avoir eu l’impression de vivre une expérience hors de mon corps, d’être partie. Je ne sais pas si je peux dire que j’ai accouché. J’ai le sentiment maintenant qu’on m’a accouchée. Mais psychiquement, shootée, droguée, je n’étais plus vraiment là. 

Est-ce ça, le progrès de la médecine? Qu’on puisse faire naître des enfants presque en l’absence de la mère qui n’est plus qu’un véhicule? 

Être anesthésiée, droguée, pour se faire opérer de l’appendicite, ok; l’être pour accueillir un enfant, ce n’est pas anodin.





La question des moyens est le nerf de la guerre: là où on dépense l’argent public souligne ce qui nous importe. Et clairement, les femmes importent peu.

Où devrait être mis l’argent destiné à la médecine obstétrique? Dans les infrastructures de salles nature, dans le soutien à l’accouchement à domicile pour celles qui le souhaitent, surtout dans l’accompagnement des femmes par des sage-femmes. 

Rappelez-vous la pétition “Une femme = une sage-femme”, et le hashtag #jesuismaltraitante. Évidemment qu’une femme devrait être accompagnée, et elle seule, dans la naissance. Est-ce qu’on se voit se partager un.e chirurgien.ne, qui serait sur plusieurs opérations à la fois? Ça mettrait en danger ses patients. Eh bien, il en va de même, mise en danger physique comme psychologique, des parturientes. 





Oui, le corps d’une femme est capable d’accoucher seul. Sauf que la réalité des choses, c’est qu’accoucher seule au sens d’en pleine conscience de soi, demande d’être fortement accompagnée.






Au-delà de ce désintérêt (pour dire les choses gentiment) pour les femmes, cet emprisonnement dans une médecine productiviste est aussi et surtout le symptôme de l’emprisonnement dans une médecine patriarcale. Nous, parturientes, sommes à la fois mises sous tutelle dans une médecine patriarcale et empêchées de nous libérer, empêchées de nous considérer comme sujet à part entière.

Accoucher comme une femme




Un accouchement physiologique réussi, qui a mis la femme au centre de la naissance, qui en a fait un sujet, informé, décisionnaire, est un pas hors de la culture patriarcale qui imprègne tant la médecine

Un accouchement physiologique est hors du temps, plein de surprises, il rend illégitimes les roulements productivistes des équipes médicales.

Il est surtout un pas de côté pour la femme: la parturiente n’est pas une femme comme on lui a appris à l’être. Elle sort de son rôle, elle crie, elle n’est pas polie, elle ne reste pas à sa place, elle ne se laisse pas faire. La salle de naissance est un lieu qui devrait échapper aux règles du monde extérieur, celui où les femmes sont faibles, où elles dérangent. J’ai le souvenir très clair d’avoir l’impression de déranger, d’avoir peur d’abîmer quelque chose lors de mon deuxième accouchement. Mais c’est scandaleux! J’accouche. C’est l’essentiel. 

Mon gynécologue, sceptique de mon choix d’un accouchement sans anesthésie, était impressionné par ma réussite - preuve que j’ai dû faire figure d’extra-terrestre, qu’au Chili mon choix a dû être une bizarrerie suprême. Il m’a dit à plusieurs reprises que c’était un très bel accouchement. Mais ce n’est pas un hasard s’il m’a aussi dit: “dis, donc, tu as poussé des sacrés cris!”, mi moqueur, mi admiratif. 

Ben, oui, j’ai crié, et alors? Ça vous a dérangé? Pardon de vous importuner, docteur!




Il y a donc un double écueil dans cette médicalisation généralisée: ne pas chercher à donner aux femmes les moyens de leur compétence car la Médecine (entendez: les médecins, les hommes, les vrais) va s’en charger; et leur enlever, tout bonnement, si elles l’avaient. 

Pourquoi alors? Pourquoi chercher son incompétence?

Je vais expliquer en m’appuyant sur les sensations géniales que je n’ai connues que pour mon troisième accouchement, en faisant aussi un petit détour par la littérature.

Si on lit quelques récits d’accouchement de notre littérature classique (chez Flaubert ou Zola, par exemple, prochain article là-dessus bientôt), on se rend compte que les accouchements sont toujours décrits d’un point de vue masculin. Et ce qui est frappant, c’est l’insistance sur l’animalité de la femme au moment de son accouchement. La femme “met bas”, elle vit quelque chose de négatif, de dégradant pour son humanité et surtout pour sa féminité.

Pourtant, dans mon propre accouchement, et dans celui de beaucoup d’autres femmes qui l’ont bien vécu, je n’ai pas eu l’impression d’un retour à l’animalité, en tous cas pas au sens d’une diminution, d’une minoration de mon humanité.

Non, j’ai eu bien au contraire un sentiment de puissance, un sentiment de féminité extrême. Je me suis sentie immense, guerrière, forte.




Ça vous étonne, vous, qu’un système patriarcal cherche à ce que les femmes ne se sentent ni fortes ni compétentes?

Il suffit qu’on se rappelle que le verset de la Bible où la femme est condamnée à “accouch[er] dans la douleur” est le même que celui où elle est condamnée à être dominée par l’homme, et on perçoit vite qu’un accouchement qui grandit la femme n’arrange pas ceux qui veulent la dominer.




Alors, il n’y a plus qu’une chose à dire: qu’on remette la femme parturiente sur le piédestal où elle devrait être, qu’on lui donne les moyens d’être ce qu’elle est et ce qu’elle se sent être: une déesse.

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D’autres batailles ⭣

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