Un long dimanche
 

Batailles choisies #432

Il y a des jours, comme ça, où on trouve ses enfants affreusement mal élevés. Et on désespère. 👎


 

Grand embête son frère. Il le taquine, l’énerve, dit des bêtises jusqu’à le faire pleurer. Il chantonne des âneries, le regarde sans ciller, s’amuse de ses blagues méchantes où il lui fait croire qu’il a cassé son jouet préféré avant de clamer, dans un rire sardonique que “c’est une blague!” Il est 7h30 du matin. Ça va être un long dimanche.


Au petit-déjeuner, les garçons ne participent pas à mettre la table, n’amènent rien, s’assoient de travers, font la fine bouche parce que ce n’est pas leur pain préféré. À peine la dernière bouchée avalée, ils laissent tout tel quel malgré nos rappels à l’ordre et partent jouer, laissant dans leur sillage tous les jouets éparpillés.

Durant la matinée, Milieu attrape un livre et s’amuse à déchirer tout doucement une des pages. Puis lui et son frère jouent au ballon dans le salon, dégommant une lampe, menaçant un cadre. Ils n’écoutent rien, c’est vraiment affreux. Pourtant, ils savent bien qu’il y a des choses qu’on ne leur laisse pas faire dans la maison.

Plus tard dans la même longue matinée, ils sortent jouer en chaussettes dans le jardin, chaussettes qui étaient blanches mais ne le restent pas longtemps. Mais les enfants, enfin, combien de fois on vous a expliqué! Si vous salissez les vêtements, il faut les laver! Ils ne pensent jamais aux autres, vraiment, sales gosses.


C’est dimanche. On ne fait rien de particulier. On tourne en rond tous les cinq en attendant la prochaine fois où on se mettra à table, prochain goûter, prochain déjeuner, prochain goûter, prochain dîner.


Au repas de midi, les enfants se tiennent comme des chiens, mangent avec le nez dans leur assiette, fouillent entre leurs dents avec les doigts, parlent la bouche pleine, tapent sur la table avec leurs couverts, mettent du riz partout sur la table et sous la table, sur leur t-shirt et sous leur t-shirt, se lèvent de table sans avoir demandé la permission, refusent de se laver les dents en nous faisant des pieds de nez.


Je ne comprends pas. Pourtant, on insiste et on insiste, on explique et on explique, on gronde et on gronde. On ne leur laisse pas faire n’importe quoi, on essaie de les éduquer… et aujourd’hui, ben, il faut bien admettre que ça ne marche pas.  


L’après-midi se passe en disputes et en chamailleries, en engueulades et en récriminations. Je ne veux pas avoir une relation avec mes enfants où on crie tout le temps, non, ce serait un aveu d’échec pour moi, qui suis certaine des bienfaits de la parentalité positive. Pourtant, il faut bien que je me l’avoue, en ce long dimanche, mon éducation est un échec. 

Les quelques techniques que j’essaie, piochées dans mes livres de parentalité, non seulement ne marchent pas, mais en plus me paraissent fabriquer des monstres égocentriques.

Utiliser des messages “je”? Milieu, je veux voir ce jouet dans la boîte à jouets! Milieu prend la peluche qu’il tient et me la balance dessus.

Parler à hauteur d’enfant en le regardant dans les yeux? Grand, je te demande de laisser ton frère jouer à sa manière. Grand me répond en me tirant la langue.


En ce long dimanche, je me demande si la technique tarte dans la gueule ne serait pas la meilleure, finalement.

Non, se calmer ou se fâcher, encaisser ou ne pas accepter, mais en tous cas, reprendre demain, reprendre les bases, reprendre pied, comme un lundi.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Un précieux trésor
 

Batailles choisies #431

Certains jours, on ne passe pas un moment merveilleux avec ses enfants. Ses enfants en revanche passent un moment merveilleux, alors ça va. 🥐


 

Samedi matin, on se fait un petit plaisir.

- Les garçons, d’abord, je vais voter dans un endroit à Santiago, mais après, vous savez quoi? On va aller dans une boulangerie française juste à côté…

- Et il y aura des macarons?

- Oui, Grand! Et aussi des viennoiseries!

- Viéloisserie?

- Tu sais, Milieu, des pains au chocolat, des croissants! Tu verras, je suis certaine que tu vas adorer.


Je me dis qu’un jour, peut-être, notre famille possèdera ces petits rituels qui nous définissent, comme par exemple cette boulangerie française, tu te souviens, à Santiago, où on allait de temps en temps acheter de délicieux gâteaux. Peut-être, oui, qu’on prendra de temps en temps, ce petit-déjeuner de luxe et de sucre, que mes enfants me le réclameront, que je l’accorderai avec un soupir résigné autant qu’avec la joie de partager avec eux ce petit bonheur. C’est aussi pour ça que je me dis que je vais prendre Grand et Milieu ce matin, parce que j’espère que ce moment sera un trésor, plein de gourmandes découvertes et de complicité, un moment qu’on chérira eux et moi.

J’espère mais je ne me fais pas d’illusion. Je connais mes enfants. C’est fini depuis longtemps les illusions sur la sortie tranquille où l’on regarde ses bambins avec des paillettes dans les yeux. J’ai bien fait de ne pas trop espérer. Mes enfants se comportent… ben… comme mes enfants: borderline mal, mais ça aurait pu être pire - le slogan de ma vie avec eux. Grand me demande cinq fois quand est-ce qu’on commande, Milieu s’amuse à faire bouger la table en fer pour qu’elle fasse du bruit, ils commandent des jus d’orange qu’ils ne boivent pas, Milieu colle ses mains sales contre la vitrine. Grand parle très fort et commente ses parfums préférés de macarons, j’imagine pour moi, mais toutes les tables l’entendent. Mes garçons dédaignent la petite cabane où j’espérais qu’ils jouent longuement, préférant se coller contre moi et regarder au fond de ma tasse combien de café il me reste avant qu’on parte - mais Maman, tu bois super lentement, dépêche-toi un peu! Grand engloutit son croissant, puis négocie pour manger mon croissant aux amandes. Milieu dévore son pain au chocolat qu’il tient contre lui comme si on allait lui enlever. Je lui demande si je peux goûter. Il sent qu’il est obligé d’accepter alors il détache avec précaution le plus petit morceau qu’il peut avant de se raviser et de recracher le morceau qu’il a dans la bouche pour me l’offrir. Mes enfants… sont mes enfants, quoi. 

- Allez, c’est l’heure, oui, on y va! Vous choisissez chacun une petite boîte de macarons et vous choisissez les saveurs que vous voulez. 

L’un après l’autre, ils choisissent leurs sucreries, et cette verte s’il vous plaît, et je voudrais aussi le rose, là, et moi aussi un jaune, un jaune, un jaune! J’aurais aimé vivre un moment de pause, de paix, un moment précieux. Ce n’était pas affreux, non. C’était plutôt agréable. On rentre contents, contentés. Je ne sais pas si je m’en souviendrai toujours, par contre…


En ce matin tranquille d’une capitale d’habitude tumultueuse, on a tout loisir, Grand, Milieu et moi de prendre tout le trottoir. Je pose mes mains sur la chevelure, à gauche de Grand, à droite de Milieu. Ils marchent en regardant droit devant, en silence, concentrés sur leur mission: ne pas faire tomber la boîte de macarons qu’ils tiennent bien serrée contre eux, comme un trésor.

Je suis rentrée bredouille de ma chasse, mais eux ont trouvé le butin.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣