Girl drama
 

Batailles choisies #492

Mon fils a des problèmes de fille… et je trouve ça merveilleux. 🎀


 

Dans un article du New York Times qui m’avait beaucoup plu et marqué, Ruth Whippman, mère de trois garçons, remarquait qu’il était interdit aux garçons d’avoir des problèmes de filles. Pour nous expliquer ce qu’est un problème de filles, l’autrice résume une histoire de magazine destiné, de tout le rose et de tout le brillant de sa couverture, aux fillettes: une pré-ado, invitée à deux anniversaires en même temps et ne voulant décevoir aucune de ses deux amies, a l’idée de passer d’une fête à l’autre, se rendant aux jeux de l’une, s’en échappant discrètement pour faire les mêmes jeux chez l’autre, réussissant même l’exploit d’assister au soufflage des bougies des deux anniversaires. L’autrice remarque que cette histoire est celle d’un travail émotionnel de haut vol, qu’on socialise les filles à effectuer dès leur plus jeune âge, en se prenant la tête, en cherchant à plaire, en voulant bien faire et faire plaisir. À l’inverse, dans les histoires pour garçon, il n’est, jamais ou presque, question de s’occuper des autres, de se prendre la tête pour chercher à rendre les autres heureux. Les livres à destination des garçons, poursuit l’autrice, n’envisagent les émotions que via des camions ou des dinosaures ou, lorsque les lecteurs grandissent, à travers une forme ou une autre de combat. 

Leur monde narratif ne contient quasiment aucune complexité - pas d’intériorité, pas de négociation, pas de soin aux autres, pas de dilemmes d’amitiés ni de conflit intérieur.

Là où on apprend aux garçons à se tourner vers eux-mêmes, on apprend aux filles à se tourner vers les autres. On n’apprend donc pas aux garçons à se construire avec autrui, ni à analyser avec finesse leurs émotions et sentiments, ni à les prendre en compte alors qu’ils sont souvent concurrents des nôtres: on ne les fait pas baigner dans le travail émotionnel, et c’est dommage, car savoir, deviner ou se prendre la tête pour connaître ce que pensent les autres, ce qu’iels aiment, qui iels sont, comment les rendre heureux, comment accepter les besoins de l’autre sans oublier les siens, est important! 

Le travail émotionnel, c’est la base. Assez parlé des enfants des autres, je vais parler du mien, que je vois arriver, avec un air embêté, un grand collier lui tapotant la poitrine et un bracelet à chaque poignet. Mon fils aîné a vraiment mis à profit les boîtes de perles rachetées à une voisine. Lui qui aime les décorations, les fleurs, la peinture, tout ce qui est joli, adore fabriquer des bijoux, avec du rose, des étoiles brillantes et beaucoup de mauvais goût. 

- Mais Grand, il est tard, tu devrais être en train de te doucher et de te coucher à cette heure-là! Qu’est-ce qui t’arrive? Tu as l’air embêté.

- C’est que, Maman, en fait, tout le monde a adoré mes colliers. Et tout le monde m’a demandé de lui en faire un: Benjamin, Clara, Camila, Lina, Sofía… Alors j’ai dit à Clara que j’allais lui en fabriquer un. Et à Lina que j’allais aussi lui en fabriquer un, mais pas aujourd’hui, demain. Et à Sofía, vendredi. 

- D’accord. Et?

- Ben, je n’ai pas eu le temps, ce soir! On a fait les devoirs, on a joué un peu et c’est fini, c’est déjà l’heure de se coucher! Qu’est-ce que je vais dire à Clara?

- Je ne sais pas… juste que tu n’as pas eu le temps?

- Mais elle va être super déçue! J’ai une idée. Je vais donner à Clara celui-ci, qui était pour moi, dire à Lina que je pourrais lui faire vendredi et à Sofía que je vais lui faire pendant le week-end un collier, et peut-être un bracelet pour dire pardon d’être en retard avec mes bijoux. 

L’air soucieux qu’il avait en arrivant dans ma chambre l’a quitté. Il semble en confiance, satisfait de sa solution. Je le regarde avec tendresse, avec un pincement d’inquiétude qu’il soit trop bonne pâte, mais surtout avec une fierté toute féministe.

T’es un vrai homme, mon fils!


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Sur le bon chemin
 

Batailles choisies #491

On ne s’énerve pas contre son mari, c’était juste un tout petit service, on ne s’énerve pas contre son mari, c’était juste un tout petit service, on ne s’énerve pas contre son mari, c’était juste un tout petit service… 🎁


 

J’ai bien dû m’avouer que oui, Mari avait raison: je le critique trop. Lors d’une discussion vive entre nous, il m’a dit qu’il en avait marre que je le critique. Il fait de son mieux, il s’occupe des enfants malades, il prend souvent Dernier chez sa mère pour que je me repose, il déplace des réunions pour assister au spectacle de l’école alors que c’est en plein milieu de la journée de travail et plein d’autres choses qui sont beaucoup quand on a un boulot prenant.

J’ai bien dû m’avouer que oui, c’était vrai. Je critique des petits trucs (comme ce qui a déclenché cette dispute: qu’il n’anticipe pas les matins en habillant les enfants pour l’école, pendant que je prépare les sacs, me laissant ensuite seule dresseuse de fauves sous la pression du chronomètre). Pourtant, dans le grand ordre des choses, vu depuis le ciel, en oubliant un peu le patriarcat et ses exactions dans ce genre-là, oui, bien sûr, il est fiable, il fait son boulot de parent, il en fait beaucoup. Et puis, au-delà de ça, je suis parfois dure avec lui, très loin de la bienveillance, de l’empathie, de la compréhension que je montre envers mes enfants. Parfois, ce n’est pas tant ce que je lui reproche mais comment je le fais qui, je m’en rends compte, ne va pas. Je dois absolument m’améliorer sur ce point parce que je n’ai pas envie d’une relation dans la tension et la négativité, je dois absolument changer de direction, prendre le bon chemin, pour nous deux.    

- Tu pars en premier, avec Milieu et Dernier, c’est ça, Chéri? Je vais à la piscine avec Grand et je vous rejoins chez ta mère pour l'anniversaire de ton frère?

- Oui. Par contre, j’ai un petit service à te demander. En fait, ma mère et moi… on ne s’est pas trop compris. Elle lui a acheté le pantalon qu’on a choisi ensemble, mais un seul pantalon, ça fait pas beaucoup quand même comme cadeau. Donc je me suis dit qu’on pouvait lui offrir, tu sais, le coffret de petits pots de desserts, là, qu’on a acheté une fois pour nous.

- Ah oui, bonne idée!

- Tu pourrais passer à la pâtisserie, sur ta route

- Ah oui, pas de problème. Et c’est où?

Bon, donc, depuis la piscine, il faut que je descende, d’habitude je tourne à droite, là, il faut que j’aille à gauche. Mari m’a envoyé l’adresse, je la tape dans le GPS. Après le centre commercial sur ta droite, et puis la station essence, tu sais, c’est un peu plus loin à gauche, m’a-t-il dit. Bizarre, le GPS ne trouve pas de centre commercial. Ah, celui-là, à gauche après la station service. Non, pas de pâtisserie ici. Message whatsapp: - Quel est le nom du magasin? - “Dulce”. Ah d’accord. Pas de “Dulce”, ici. Je me suis trompée.

- On repart, Grand, c’était pas ici.

- J’en étais sûre, que c’était pas ici! J’en étais sûre que tu t’étais trompée!

- C’est pas moi, c’est le téléphone, mon grand. Écoute, ça peut pas être si compliqué.

Zut… 10% de batterie… et j’ai oublié mon chargeur! Et le GPS use super vite la batterie… Allez, allez, tu vas y arriver…

Je conduis dans un beau quartier que je ne connais pas. Je suis le GPS, en allant doucement. Slaloment autour de moi des voitures de sport et de luxe, qui me klaxonnent parce que je ne roule pas assez vite. Oh, il y a beaucoup de monde sur la route… c’est galère! Et cette trois voies qui devient une deux voies qui devient une quatre voies. Et là-bas, concentre-toi, il y a un embranchement, le GPS montre qu’on doit tourner à droite et ensuite première à gauche.

- Mince! Mince! Mince!

- Quoi, Maman, quoi? 

- Je suis partie à droite, mais c’était pas celle-là, c’était celle d’avant! Mince, mince, mince!

- Maman, est-ce que, dans le Titanic, il y avait des enfants qui ont été vivants alors que leurs mamans et leurs papas sont morts? Et des papas qui sont morts alors que les mamans et les enfants sont vivants? 

- Attends, attends, Chéri, je dois me concentrer sur la route, je ne peux pas discuter… attends un tout petit peu…

Ah. 8% de batterie.

Franchement, je ne suis pas sûre d’avoir bien compris où je devais aller. Le GPS ne connaît pas le nom du magasin. En même temps, ma fille, tu sais bien que c’est pas comme ça qu’on va dans un endroit qu’on ne connaît pas, qui plus est à Santiago, dans un quartier très fréquenté. On cherche avant, on regarde le GPS à l'arrêt, on essaie d’avoir une idée de l’endroit avant d’y aller. Je me suis vraiment jetée dans la gueule du loup, là… En même temps, je ne sais pas si c’était le plus pratique que ce soit moi qui passe à la pâtisserie…

- Ça y est, j’ai retrouvé la route, Grand! Donc, ta question?

- Est-ce qu’il y avait des mamans qui sont mortes sur le Titanic mais pas leurs enfants?

- Euh… j’imagine que oui, peut-être des mamans qui n’ont pas pu monter dans un canot avec leurs enfants… seulement 7%! Ouf, ça y est, on est arrivés, Grand!

Je regarde la destination que m’indique mon téléphone et ses pauvres 6% de batterie. C’est un concessionnaire Nissan. D’ailleurs, dans le secteur, je ne vois que ça, des concessionnaires…

- Mais c’est pas possible! C’est pas du tout là! 

- Quoi, Maman, quoi, qu’est-ce qu’il se passe?

- Mais je ne trouve pas! Je suis à destination et il est où le magasin?

Je prends une rue qui s’éloigne de l’axe sur lequel je suis, puis une autre rue, puis une autre, pour me retrouver sur le bas-côté, face à de jolies maisons, face à un énervement qui monte, face à un téléphone qui menace de faire écran noir si je continue à l’invectiver.

- Et pourquoi Papa ne t’a pas dit où était le magasin? s’insurge Grand. 

- Non, mon chéri, ce n’est pas de la faute de Papa, c’est le téléphone qui m’envoie n'importe où. Allez, je vais regarder le numéro de la rue encore et puis demi-tour.

En même temps, il a un peu raison, Grand… pourquoi je suis dans cette galère, hein?

Cette phrase qu’il m’a dite en passant me revient en mémoire: “avec ma mère, on ne s’est pas compris”. Ça sent le baratinage. Je le connais… il s’est réveillé ce matin en se disant que ça faisait pas assez comme cadeau pour son frère, au lieu de se le dire hier et il me demande de courir Santiago en mentant sur le “pratique”, sur le “c’est juste sur le bon chemin”, juste à côté à gauche, je t’en donnerai moi, du juste à côté… Je suis sûre, il n’a pas anticipé et voilà, je me retrouve à… Non. Non. On reste calme. Combien de fois il a fait des trucs galère pour te rendre service, genre aller chez le notaire à l’autre bout de la ville, faire un détour dans un quartier franchement loin de là où il était pour récupérer une galette des rois, emmener la voiture au contrôle technique. C’est à mon tour de lui rendre service. Allez, on repart.

6% de batterie. Des concessionnaires et des concessionnaires sur la grande avenue. Arrivée au bout, en ralentissant et en me faisant klaxonner parce que je ralentis avant un croisement, je regarde cette grande maison réaménagée en petit centre commercial… ah victoire! C’est le bon numéro! Super Grand, on est arrivés. Et là, au fond, “Dulce”, c’est là, super! J’ai mis 45 minutes pour trouver, mais c’est bon. Juste un petit contre-temps: il y a une petite vingtaine de places de stationnement et 24 voitures. Je me suis engouffrée au fond et il n’y a pas de place. Je fais quoi? Le magasin est juste là… 

4% de batterie. Vite, après, je ne sais pas comment on retrouve l’autoroute. 

- Maman, j’ai une idée! Je reste dans la voiture, je surveille si une place se libère et je te fais signe et toi tu vas vite acheter le cadeau!

Je bloque quatre voitures. Le destin aura le bon goût qu’aucun des quatre conducteurs ne voudra sortir. Le destin aura même le bon goût que la cliente dans la pâtisserie avant moi se décide vite. 

Oui, bonjour, dis-je impatiemment, je voudrais deux coffrets petits pots. Deux parce que si les enfants se jettent sur les petits pots et que le tonton n’en a plus que la moitié, ça fait pas un super cadeau. Bon, deux donc. C’est combien? Gloups. Tout ça pour ça? À ce prix, il suffisait de lui acheter un deuxième pantalon! Bon, tant pis, tant pis. Franchement, quelle idée à la noix, le cadeau, l’organisation, tout, tout, tout! C’est moi qui me retrouve à acheter le cadeau pour son frère, finalement… Non, allez, c’est passé.

- Allez, vite, vite, mon grand. Merci de ton aide! C’est bon! 

- On y va alors? 

- Oui!

- Et tu vas pouvoir répondre aux questions du Titanic?

- Je vais essayer de parler de naufrage oui…

Et c’est où l’autoroute pour aller chez Belle-Maman? Euh… j’essaie de suivre le grand axe ici… et zut c’était celle d’avant! Tours gratuits dans un pâté de maisons et ouf, là, je connais.

- Ah oui, Maman! Je reconnais ici! C'est la grande descente!

2% de batterie.

Messages whatsapp de Mari: - Tout va bien?

Black-out du téléphone.

Arrivée chez Belle-Mère, avec une grosse heure de retard sur le planning, Mari vient m’aider à décharger la voiture, dont les deux coffrets de desserts.

- Tu en as mis du temps! Ça a été pour trouver le cadeau?

- Euh… ben, écoute, c’était un peu galère, j’ai eu du mal à trouver le bon chemin. Mais il faut dire que c’est mon GPS qui a fait n’importe quoi.


Batailles en vrac⭣

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