Prendre de la hauteur
 

Batailles choisies #508

Lorsqu’on se dispute, un matin, fort et bêtement, avec son enfant de 6 ans et demi et qu’on se brûle à être parent… quelle pommade met-on sur un bobo de mère? ☀️


 

- Je ne veux pas ce pain.

- Mange-le, s’il te plaît.

- Non.

- Grand, mange le pain.

- Non, je n'en veux pas.

- Grand, il n’y a rien d’autre.

- Non, je ne le mangerai pas.

- Grand, tu le manges.

- Non.

- Grand, c’est soit ça, soit rien.

- Alors ce sera rien. Voilà, je mange rien.

- Grand, tu manges.

- Non.

- Tu manges!

- Je t’ai déjà dit non.

- Tu manges!


Au petit-déjeuner, ce matin, j’ai choisi de viser le soleil: j’ai décidé que je n’accepterai pas de préparer un autre petit-déjeuner, que je n’accepterai pas non plus que Grand parte à l’école le ventre vide, que je maintiendrai ma décision, mon refus, mes “absolument” et mes “hors de question” coûte que coûte. Je ne regarde que le soleil, là-haut, le soleil de l’autorité parentale: je ne bougerai pas, ne transigerai pas, n’accepterai pas de compromis. Je veux qu’il m’écoute, je ne vais pas céder, je veux gagner. Je veux le soleil.


Personne n’a dit à Icare que le soleil brûlait les désirs fous? Personne ne lui a dit, surtout, que cet éblouissant soleil tournait la tête et empêchait d’y voir clair? Parce qu’en croyant viser l’astre du jour, en croyant voler haut, en réalité je tombe, inexorablement, je plonge tête la première vers le sol, dans cette dispute prenant des proportions mythologiques pour un morceau de pain et alors même que je regarde le soleil droit dans les yeux, la chute commence.

Fermement, je répète: Tu manges!

Il refuse.

Je crie: tu manges!

Il refuse en criant à son tour.

Je hurle: tu manges!

Il me tient tête et me tire la langue.

Je vois rouge ou ne vois plus clair. Je ne peux pas le laisser gagner, non, il doit comprendre qu’on ne peut pas jeter, qu’on n’est pas à l’hôtel, que je ne suis pas à son service, que c’est moi qui décide, que non, c’est non, que “tu manges” n’acceptera aucune éclipse. 


Je sors la litanie des sempiternels reproches parentaux, les “on ne doit pas gâcher”, les “on travaille pour vous acheter”, les “tu crois qu’on me donne la nourriture” et mon fils refuse toujours de bouger. Pour l’atteindre, je sors alors les menaces, celles que je ne tiendrai pas, les “c’est fini de t’acheter ton pain préféré, dorénavant ce sera celui-ci ou rien”, les “pas de cadeaux pour ton anniversaire”, les “tu voulais qu'on commande une pizza ben c’est hors de question”. Je n’arrive pas à freiner cette descente, qui s’accélère, je n’arrive pas à remonter et je passe à une litanie plus sombre, plus dure, les “tu es égoïste” et autre “tu ne penses qu’à toi” qui m’enfoncent toujours un peu plus dans le noir.


La chute continue et avec elle s’envolent les pages de mes livres de parentalité positive, s’envolent les plumes que je perds à chaque cri et je me retrouve nue et démunie. Je sens que ça ne va pas mais je ne sais pas à quelle branche me rattraper. J’ai peur que mon fils ne comprenne jamais le sens des choses, la valeur de notre temps, de notre argent. J’ai peur et je ne vois plus rien d’autre, dans l’éblouissement, peut-être dans l’illusion qu’il est possible d’être cette figure brillante, autoritaire, celle à laquelle on obéit et qu’on écoute, que cette lumière au bout du tunnel, s’éloignant et s’éloignant.  


 

La chute se poursuit. Milieu qui assiste à la scène, d’une maman sortie de ses gonds, d’un frère aîné qui pleure parce qu’il mange forcé au milieu de ses larmes, reste interdit puis vient me dire, lors d’une brève accalmie: “Maman, j’ai un petit peu peur”.


Le soleil s’est levé derrière la montagne: il est l’heure de partir.

Ai-je gagné? Grand a mangé la moitié de son pain. Ma victoire a un goût amer. Je le sais, que ça n’a servi à rien. Qu’en me battant pour un bout de pain, derrière lequel il y a beaucoup d’autres choses, beaucoup de peurs, de l’aîné égoïste, du garçon sans empathie, mais aussi bout de pain derrière lequel il n’y a rien, rien d’autre que d’habitude, il mange d’un autre pain et il ne comprend pas pourquoi on l’oblige soudainement à manger celui-ci, en me battant pour ce morceau de pain, donc, j’ai mouché mon soleil intérieur, de mère qu’on aime et en qui on confie.


Le vent qui nous souffle sa fraîcheur au visage quand j’ouvre la porte me dit que j’ai perdu. J’ai perdu pied, j’ai perdu la tête, j’ai perdu la mesure, j’ai perdu le respect de mon fils et le mien propre avec. 


Laisser derrière soi cette folie

Cet ubris,

Fermer la porte et

Se promettre

Se promettre

De ne plus jamais

Tomber

Si bas.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise Simondispute, Grand, regret, VEO
Ciel! Mon mari!
 

Batailles choisies #507

Catastrophe! Mon mari rentre plus tôt que prévu! Vite, vite: ranger mon amant dans le placard! 🧽


 

-Tu rentres ce soir? Ah, j’avais cru… demain matin… mais non, super, oui, pas de problème. À tout à l’heure, mon amour!

Clic. 

Heure estimée d’arrivée: dans quarante minutes.

Température ressentie: c’est la cata.


Ah oui parce que, vous ne le savez pas, mais je suis mariée avec ma belle-mère. Enfin, pas tout à fait: je suis mariée avec mon mari, mais mon mari vit avec une belle-mère intérieure qui juge mes qualités domestiques comme une marâtre: mal, no good, terrible en ouvrant les deux yeux, passable en fermant un œil. C’est Mari, à la maison, qui s’occupe du nettoyage, c’est lui qui, le soir, alors que les enfants dorment et pendant que je travaille ou zone sur Youtube ou les deux en même temps, passe la serpillère, fait briller la cuisine, remets de l’ordre dans les jouets. C’est aussi lui qui, quand il télétravaille, nettoie la cafetière en lieu et place de la pause café, allume l’aspirateur plutôt qu’une clope, fait ses exercices d’étirement au travail en et un! Alignant les livres sur l’étagère du haut, et deux! Mouvements circulaires avec l’éponge, et trois! On balaie, on balaie, en haut, en bas! Bref: la fée du logis, c’est lui. Et moi? Ben, moi, comment dire… je vais laisser la parole à l'intéressé:

- Mais chérie, tu ne vois pas les miettes sous la table?

- Où ça? Ah non, j’avais pas vu.

- Mais chérie, il est dégoûtant, ce t-shirt! Grand ne peut pas aller à l’école comme ça!

- Ah, ça doit être le reflet du soleil qui m’a éblouie, il me semblait qu’il n’y avait qu’une petite tache sur le devant… 

- Chérie, les crayons de couleurs, il y en a partout!

- Ah bon? On a rangé avec les enfants, pourtant…

- Et dans la chambre?

- Ah, non, là, j’ai oublié.


Je ne suis pas sale, crade ni désespérément désordonnée, non, mais certainement pas non plus maniaque et si je trouve la maison pas trop mal rangée et pas trop sale, je m’en satisfais. La barre est basse, chez moi, là où, pour Monsieur, elle est très haute - et j’ai eu une pitoyable note en saut en hauteur en 5e, ceci expliquant sans doute cela. Je laisse traîner, remets à plus tard, ferme l'œil sur les rognures de crayons en me disant que je passerai l’aspirateur demain, le sortir maintenant alors qu’il est tout là-bas dans l’autre chambre, ou ignore les céréales petit-poucetés par Dernier en montant les escaliers. Je me décrirais volontiers comme relax, cool, facile à vivre, si Monsieur ne tranchait pas sévèrement de son ton de belle-mère intérieure et de sorcière tant il est accroché à son balai: “L’ordre et le ménage, c’est vraiment pas tes points forts”. 


Ce qui fait que, quand Mari est absent plusieurs jours, comme cette semaine où Dernier malade l’a encore une fois obligé à aller chez sa mère, je retrouve mon amant: M. du Désordre. Ou plutôt, mes amants: M. Cépassisal, M. Jeferai-Demain, M. Sapeu-Attendre. 

Ce coup de téléphone pour me dire qu’il part de chez ma belle-mère et donc qu’il arrive bientôt avec son fantôme, me fait pousser de grands cris de bourgeoise de boulevard prise en flagrant délit d’adultère.  


- Les enfants, vous voulez regarder Peppa Pig?

- Mais Maman, tu as dit qu’on n’avait pas le droit de regarder la télé les jours d’école…

- Oui mais là, il y a urgence… je veux dire… juste pour aujourd’hui.

- Et puis en plus tu dis toujours que Peppa Pig, c’est idiot.

- L’épisode sur les spaghettis, c’est différent parce que vous apprenez à cuisiner des spaghettis, donc ça compte comme éducatif.


A-t-on le droit de dire à ses enfants que si je ne nettoie pas, je vais me faire nettoyer par Monsieur? Que si je ne mets pas de l’ordre dans les valises, c’est ma valise que je vais devoir faire? Que si je ne fais pas les chambres, dès ce soir, ce sera chambre à part?


Watch me 

Faire les lits en vitesse

Empiler les jouets dans leur grande boîte

Laisser ceux qui n’y entrent pas à peu près alignés

Sortir l’aspirateur

Oublier de sortir la poubelle 

Oh, mince, la cuisine

Oh, mince, la vaisselle sale

Oh, mince, avant ça la vaisselle propre et le lave-vaisselle

Grand ton t-shirt est dégoûtant, mets-le au sale! Si possible sous la pile, pour effacer les indices de… non, rien… 

La pile de linge à plier

La pile de linge à ranger

La pile de linge à cacher dans le fond de mon placard pour la remettre à demain


Oh, Hercule, Hercule, les écuries d’Augias feraient figure d’entraînement face à une maison dans laquelle je pensais avoir quelques jours de vacances de ma belle-mère épousée! 

Le problème, vois-tu, Hercule, c’est que même avec la pression, même avec les quinze petites minutes qu’il me reste pendant que mes enfants restent bêtes devant une cochonne qui rit pour que je reste épousable… même là… comment dire… “l’ordre et le ménage ne sont vraiment pas mes points forts” eh bien… je nettoie à peu près, pas si mal, pas trop sale et globalement présentable, mais … sans plus. 


Alors tant pis, faire de son mieux en quarante minutes, tiens, justement, le voilà, c’est Papa, dont je vois la voiture arriver, c’est Mari qui arrive pour notre plus grand bonheur, et c’est heureux parce que j’ai encore le temps d'éteindre la télé et de pousser sur le pas de la porte, en même temps que mes amants, mes enfants correctement habillés, encore le temps de balayer sous le tapis, pour l’accueillir, tout sourire, et lui montrer sa famille, moyen chic, moyen genre, toute à peu près propre sur elle.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣