Raté
 

Batailles choisies #532

Certains jours, on n’a rien fait, ou presque. Et on est prise par le blues de la mauvaise mère. 😞


 

Ce soir, j’ai le cœur lourd. La culpabilité en déborde. J’ai la bouche pincée en un sentiment continu de désillusion, de déception de moi-même.


Qu’ai-je donc fait avec mes enfants, pour me sentir si mal? Ben rien, ou pas grand chose. 


Ce n’est pas un flot de culpabilité que je ressens, comme après un accès de colère ou de violence - et Dieu, ou plutôt Médée, déesse des mauvaises mères, sait que j’en ai eu. C’est un goutte à goutte de petits gestes et de choix du jour qui me mettent au cœur un bourdon et au front une pensée lancinante: “mauvaise mère que tu es…”

Tout annonçait une belle fin de journée, douce, tout à fait gérable dans un quotidien qui d’habitude, ne l’est pas: Mari est avec Dernier chez sa mère. J’ai récupéré les grands à l’école à 15 heures, après avoir travaillé toute la journée (le rêve!). On va bouquiner, faire des jeux tranquilles, goûter en s’empiffrant de délicieux chocolats avec un demi-fruit pour la bonne conscience. J’ai une réunion, je mettrai un petit film aux enfants, un vieux Disney, c’est toujours sympa, et puis on passera une douce soirée. Maman qui met la télé un jour de semaine, ils ne vont pas en croire leurs yeux. J’aurai l’impression d’avoir tiré sur tous les fils de ma vie, sans qu’aucun ne claque ni ne casse, j’aurais été mère, écrivaine, prof, j’aurais tout tenu sans heurts!


La réunion commence.

Je mets Les Aristochats dans ma chambre et laisse les grands avec un sourire dans le cœur, pleine de la nostalgie confiante de mon enfance. 

La réunion se poursuit.

Le film n’est pas encore fini, mais Milieu descend. Il a sûrement peur du méchant majordome ou de Cruella d’Enfer, tourne en rond dans le salon, me pose des questions alors que je suis occupée. - Tu veux regarder autre chose dans le bureau de Papa, comme il n’est pas là? finis-je par demander, excédée. - Oui, les camions en boîte! Ma culpabilité de mère qui aimerait que ses enfants se passent tout à fait d’écran laisse poindre le bout de son nez: j’ai deux enfants et les deux sont devant leur propre écran - vive le partage.

La réunion s’éternise.

J’entends sonner dans le fond de ma réunion importante la musique niaise des programmes d’unboxing que Milieu adore. Dans ces vidéos dont Youtube regorge, une paire de mains déballe des jouets, essentiellement des camions de tous types en très grand format, et leur fait faire vroum vroum pendant des heures. Milieu regarde, fasciné, les tractopelles Playmobil, les camions de pompier Lego, les bulldozer Caterpillar comme un enfant pauvre qui envierait les cadeaux de Noël de son voisin riche.    

La réunion n’en finit pas.

Grand a fini depuis longtemps les Aristochats, a demandé des Tom & Jerry de mon enfance, ça va, puis est tombé dans des idioties qui ne sont plus de son âge avec des personnages criards qui m’horripilent mais tant pis parce que je n’ai pas terminé le travail.

Deux heures et quart plus tard, ma réunion dure toujours et je suis dépitée. Mes enfants n’auront pas profité de leur maman, ils n’auront que regarder des niaiseries pour que je puisse ne pas m’occuper d’eux. 


Le dîner, comme toutes les fois où je me sens mauvaise mère, est tendu, les enfants et moi-même, chacun à notre manière, me faisant payer mon abandon. Les enfants se tiennent mal, ils mangent mal, je leur parle mal. Ce n’était pas la pire soirée, non. J’ai le droit de travailler aussi, un peu. Et un peu trop de télé, ce n’est pas la fin du monde.


Pourtant, j’ai l’âme en peine. 

Mais pourquoi?

Parce que, déchargée de Dernier, j’avais une occasion.

J’avais l’occasion en or d’un doux moment avec eux, d’une respiration dans ma course habituelle. J’avais la possibilité d’être, et d’être bien, avec mes garçons. J’avais le choix d’être une bonne mère, et j’ai choisi de ne pas l’être. 

C’est une occasion manquée.


Peut-on rétropédaler un peu? M’offrir une deuxième chance, revenir sur l'occasion… 

- Ça vous dit, les enfants, on va au café du coin manger une glace?


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Vlan
 

Batailles choisies #531

Avoir des enfants ne cessera jamais de vous mettre des claques. 🫲


 

Tout se passait bien. On enchaînait les jeux, on était un peu au salon, un peu au jardin, un peu à la cuisine. On avait deux heures tranquilles à passer avant d’aller chercher Dernier à la crèche, deux heures où, quand je n’ai que mes aînés, j’ai la délicieuse impression que j’en ai presque, presque, fini avec les galères de la petite enfance.


On met une chanson, on fait une ronde, on se prend les mains en riant quand Milieu, qui n’est pas très club, se met à chouinasser.

Vlan! 

Grand lui met une claque.

Milieu reste interdit quelques secondes avant de se laisser aller à un gros pleur de giflé.

Je reste interloquée deux traînantes secondes avant d’articuler difficilement: “mais pourquoi tu as fait ça?”

Les chamailleries entre mes enfants, entre Grand et Milieu ou entre Milieu et Dernier, sont mon quotidien. Elles donnent à mes journées un air constant de menace, un parfum de mauvais augure, une couleur explosive. Mais d’habitude les disputes montent, elles savent se faire annoncer, elles sont prévisibles, elles viennent de loin avec des sabots qui claquent.


Là, pourtant, d’où sort-elle, cette claque?   

- Enfin, Grand… qu’est-ce qu’il s’est passé? Comment tu peux faire ça? Regarde ton frère! Il se sent super mal!


Prise par surprise, prise au dépourvu, prise entre deux priorités, réconforter et disputer, je reste abasourdie et furieuse, le cul entre deux chaises.

- Il n’avait rien fait, ton frère, tu ne lui as même pas laissé le temps de dire ce qu’il se passait, d’expliquer. Et vlan, une claque, mais enfin! Jamais, jamais, on ne fait ça.

- C’est parce qu’il chouine. Et quand il chouine, il est pénible.


Grand adore embêter Milieu de toute sa hauteur de frère aîné, faisant le donneur de leçon, jouant au parent, réprimandant. Cette attitude est un soufflet pour Milieu autant que pour moi: qu’il est horripilant, Grand, à péter ainsi plus haut que son derrière. Ma parade consiste en temps normal à dire que ce n’est pas son rôle, il n’a pas à traiter son frère comme ça et autres litanies parentales. 

Mais je suis sonnée.

Vlan! Quelle claque dans cette journée plutôt douce!

Quelle claque dans mon impression de sortir du tunnel…

J’ai surtout l’impression que Grand n’a rien appris. Qu’il n’en est nulle part. Que je n’en suis nulle part.  


Je me lance dans mes récriminations classiques sur lesquelles Grand tourne simplement les talons et en me narguant qu’il ne m’écoute pas, qu’il ne se sent pas mal, que c’est bien fait pour Milieu. 

- Et puis de toute façon, je ne te réponds pas si tu me cries dessus.

Vlan.

Insolent. Inatteignable. Imperméable à mes mots, que j’essaie pourtant de peser, de dire avec justesse.


Les souvenirs de livres de parentalité, lus surtout pendant mes deux premières grossesses et qui prennent la poussière depuis, m’apparaissent bien lointains. Réagir de son mieux, efficacement, avec fermeté et bienveillance; dire ce qui est le plus adapté; laisser couler quand il faut ou ne rien laisser passer quand il faut: depuis quelques années, j’ai la même sensation de réussite que si je lançais une pièce au fond d’un puits: bof. Je suis démunie, me sens piétinée, retente différents angles, me prends différents murs, bouillonne de colère et de honte, je me sens complètement piétinée par un sale mioche.


Grand entre dans sa bouderie caractéristique. Dans ce cas, voilà, il arrête la musique, voilà, il ne joue plus avec nous, il détruit la cabane qu’il avait faite et il va dans le salon. Je laisse bouder. Il ne s’est pas excusé. N’a pas l’air de regretter. Ne semble pas se sentir mal. Je ne sais pas si je me suis fait marcher dessus ou si j’ai pris du recul.


Quelques minutes passent, la grêle de pensées noires est passée. La bouche pincée, je continue de jouer avec Milieu, sans trop d’enthousiasme, toute à mes doutes et mes taloches maternelles qui brûlent les pommettes.


La tension finit par retomber. Depuis le jardin, je vois Grand bouder assis dans le salon. 

Il a un air réfléchi.

Je ne peux rien faire de plus que de tendre l’autre joue.

Avec un peu de chance, il réfléchit.


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