Pas à l’abri d’une surprise

 

Batailles choisies #285

Mon mari prend son téléphone, appelle sa mère et lui annonce: ce week-end, tu prends les deux grands. Il vient de passer un niveau dans le game de la parentalité. Street Fighter II Turbo niveau Papa-Qui-n’en-Peut-Plus. 🤜🤛


 

Ce week-end, mon mari a l’air épuisé. Rincé. Exténué. Surtout découragé, en fait, à regarder ses enfants qui débordent d’énergie alors que lui n’en a aucune. Il a accumulé tellement de fatigue, les enfants, la pandémie, le changement de travail, les récentes nuits à travailler pour finir tel ou tel projet, les deux années passées sans prendre de vacances, que tout lui tombe dessus. Pourquoi ce matin? Sait-on jamais?


Il me dit qu’il n’en peut plus des enfants. Il me le dit avec le sourire, un ras-le-bol joyeux que je connais bien, quand on commence une journée en se demandant comment on va arriver à la finir. Il me le dit en riant.

C’est un chouette moment de complicité entre nous, puisque je sais bien ce que c’est de se lever certains jours et de se dire qu’on n’en peut plus et quand est-ce qu’on va pouvoir avoir une vie, enfin?

On se regarde par-dessus nos cafés, on rit un peu, et je lui dis:

-Mais tu sais pourquoi ça te fait cet effet aujourd’hui? Pourquoi particulièrement aujourd’hui? Parce que c’est le premier week-end qu’on passe tous les deux seuls avec nos 3 enfants.

-Quoi? Tu es sûre?

-Ben oui. Quand Dernier est né, il y avait mon père, puis ma sœur. Quand ils sont partis, on est allés se confiner chez ta mère. Là, on n’est plus que tous les deux.

-C’est vrai!

-Ça, se lever et n’en plus pouvoir, cette fatigue que tu ressens, c’est notre vie. C’est notre vie normale. 

Ce n’est pas une discussion tendue, au contraire, c’est léger, on rigole, on tombe d’accord: eh oui, cette vie de merde, ben c’est la nôtre


Mon mari continue de ruminer devant sa tartine et dit:

-Non, non, j’en ai marre. J’ai envie qu’on parte, juste tous les deux. Tchao les gosses, juste toi et moi, on commande à bouffer et on regarde des séries.

Eh, ben… on n’est pas à l’abri d’une surprise.

-Très bien, moi je suis pour, hein… mais ça me semble un peu ambitieux! Pour Dernier qui est allaité, déjà, mais même pour Milieu: il n’est encore jamais resté avec quelqu’un d’autre que toi ou moi. Ta mère ne veut pas le prendre parce qu’elle a peur que ça se passe mal.

-Ah non, ah non, ça y est, non, j’en ai marre, trop, c’est trop. 


La journée poursuit sa course, je me dis qu’il ne va rien se passer, ce ne serait pas la première fois qu’on nous oppose une inquiétude tellement forte qu’elle vaut fin de non-recevoir.


Dans l’après-midi, je l’entends discuter au téléphone, bizarre, il n’aime pas bien appeler. Il raccroche et me dit:

-C’est bon, tout est organisé.

-Ah?

-Le week-end prochain, elle prend les grands. 

Il ajoute: “Tout le week-end”, parce que ce n'est pas une mince affaire d’imposer ça comme ça.

  

Je n’ose, depuis, me réjouir de ce week-end où on n’aura pas à gérer les disputes entre les grands. Je n’ose me réjouir surtout du précédent que ça peut créer. Je n’ose anticiper, parce que les enfants vont bien nous pondre un mauvais plan, genre cas de Covid à la crèche, ou fièvre carabinée.


Mais bon. On n’est pas à l’abri d’une surprise.


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Heloise Simonmari, pause