La pire version

 

Batailles choisies #512

Suis-je la seule à trouver mes enfants adorables quand pris séparément et infernaux quand subis ensemble? 🧩


 

Grand, ce soir, est un amour. Du haut de sa voix de flûte et de son sens de l’initiative, il est d’une aide précieuse: “Maman, je t’aide à porter les sacs de course? Maman, tu veux que je descende du chariot du vélo, si je suis trop lourd? Maman, je t’aide dans la cuisine? Maman, je peux mettre la table? Je surveille Dernier comme ça tu peux ranger les courses, d’accord, Maman?”


Toute la fin de journée, il me dit des choses mignonnes, intelligentes, douces. Il attend gentiment la fin d’une conversation qu’a interrompu un changement de couche, il me demande des nouvelles de mon travail, de mes élèves, il parle comme un grand, s’émerveille de tout, ne s’impatiente de rien, passe le balai après le dîner sous la chaise haute et le bas désastre de Dernier. Il me met, ce soir, du baume au cœur et m’offre en cadeau une question que je croyais ne jamais avoir le droit de me poser: alors, ça y est, c’est maintenant, ce moment où, en tant que mère, j’ai l’impression de ne pas m’en sortir si mal que ça? C’est maintenant que je ressens un sens du devoir accompli, de la satisfaction, du soulagement que mon fils ne soit pas un crétin fini, un cro-magnon et un sale gosse mal élevé? 


Et puis arrive Milieu, qui était sorti avec Mari. Au bout de précisément trois minutes, les nananananères volent dans la maison, les cris fusent, les disputes partent en flèchent et les méchancetés s'enchaînent. 


Mais qui sont ces sauvages qui soufflent sur nos soins? 


Voilà, comme à chaque fois, c’est la pire version de Grand qui ressort: l’égoïste, celui qui ne veut rien, celui qui répond “caca, pipi, prout” à toutes nos questions, celui qui aime le bazar, sort tous les crayons de couleurs, s’en moque qu’on soit fatigués ou que son père tousse comme un tuberculeux depuis une semaine, taquine Milieu jusqu’à le faire plier, plonger, pleurer. C’est aussi la pire version de Milieu, certainement pas celui qui, en courses avec son père, était mignon et tranquille, curieux et adorable, demandant peu et donnant beaucoup, non! C’est le Milieu qui chouine et qui crie, le Milieu qui se roule par terre, qui n’arrête pas d’appeler les arbitres d’un ton plaintif, celui qui pleure une minute, rit la suivante en lançant “caca, pipi, popotin” avant de se mettre à lancer, mauvaisement, des jouets sur ses frères, des crayons sur le sol et des flèches sur ses parents.


Séparément, Grand et Milieu sont des amours. Ensemble, ils sont la pire version d’eux-mêmes. C'est épuisant, ça nous met les nerfs en pelote et ça nous offre en cadeau cette question empoisonnée: ils ne vont donc jamais, Grand et Milieu, s’entraider, s’aimer, se respecter, se traiter avec douceur? C’est à quel moment qu’on s’entend bien, qu’on est la meilleure version de soi-même avec son frère?


La tornade passe, le dîner est délaissé et les enfants jouent dans le jardin. Milieu qui tient comme un trésor une gourde d’eau et refuse de laisser ses frères la regarder, encore moins la toucher, s’acharne sur le bouchon récalcitrant. Malgré ses efforts et ses mimiques, rien à faire.  


- Milieu, je t’aide à ouvrir ta bouteille d’eau? demande Grand, de sa voix serviable. 

- Oui, si-teu-plaît, répond Milieu de son ton gentil.


A-t-on le droit, quand on est une mère fatiguée des disputes, des chamailleries, des méchancetés, entre ses enfants, de se raccrocher à ce tout petit service rendu avec bon cœur et de l’extrapoler aux grands services qui, sans doute, certainement, faut-il en douter, seront rendus plus tard, quand ils auront grandis? Est-ce la preuve, niveau enfant, qu’ils pourront être bons, niveau adulte?


À ces questions qui grattent, une toute petite voix, laissant sortir d’une bouche à peine entrouverte, un tout petit murmure répond: peut-être.


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