Batailles choisies #497
Que fait-on d’une journée à s’occuper d’un bébé? Rien: on égrène le temps en attendant qu’il passe. ⌚️
6h43. Bonjour Dernier, tout heureux, assis sur son séant, à me regarder avec un grand sourire qui veut manger la vie et des yeux qui me demandent ce qu’on va faire aujourd’hui! Alors aujourd’hui, mon chéri, ben écoute, justement… on va… on va… passer le temps. On a six heures à occuper jusqu’à ta sieste qui j’espère, je souhaite, je supplie, devrait durer deux heures. Et puis de 15 heures à 20 heures, ça fait 5 heures. Au total, on a 11 heures, peu ou prou, toi et moi, à occuper aujourd’hui.
Je suis seule à la maison pendant quatre jours avec Dernier. Mari télétravaille depuis chez sa mère, qui s’occupe de Milieu et Grand, en vacances.
On a donc, mon Dernier, 11 heures par jour X 4 jours à occuper, ainsi que trois nuits dont j’espère, je souhaite, je supplie, qu’elles ne seront pas trop mauvaises.
6h43: top départ du marathon de la tortue.
5 minutes à préparer le petit-déjeuner avec Dernier dans les bras, un café dans une main, une assiette dans l’autre, saute la tartine, tiens mon chou, ne t’impatiente pas, je vais te trouver du pain, oui, du pain…
6 minutes à manger avec application avant de signifier impatiemment qu’on veut descendre de sa chaise en tapant des pieds.
3 minutes de jeux tranquilles avec des majorettes d’abord avant que Dernier ne décide qu’être tout seul trois longues minutes c’est trop long.
4 minutes à revenir à table, le temps que je finisse mon café pendant que Dernier mange encore un petit quelque chose et ne s’ennuie de nouveau.
3 minutes à commencer à vider le lave-vaisselle avant d’être interrompue.
2 minutes à tenter de faire ranger les spatules dans le tiroir à sa hauteur avant que non, Dernier voulant surtout ouvrir le placard avec les bocaux en verre, je décide qu’on passe à autre chose… de la musique, un peu de musique, mon choupi?
4 X 4 minutes de chanson, une chanson d’enfant en espagnol que Dernier adore, où on mime des éléphants, des crocodiles, des lions et des singes.
5 longues minutes à essayer de lui faire oublier le vélo qu’il a vu par la fenêtre, parce que c’est encore un peu tôt et qu’il fait encore un peu froid.
9 minutes à lui changer la couche, sortir les lingettes, assembler rapidement une couche lavable, se rendre compte que le pantalon est mouillé, aller chercher dans le sac de la crèche à l’entrée des vêtements, râler qu’il n’y a plus de pantalons, monter en chercher un, se faire faire pipi dessus, oh non, éponger, essuyer, redescendre, habiller Dernier, remonter m’habiller et échouer sur le canapé, épuisée, sauf qu’entends-je? Qu’est-ce qu’il bricole dans la cuisine…
3 minutes à retenter de revider le lave-vaisselle, 2 minutes à réussir, 1 à calmer les cris parce qu’on a fermement refermé la boîte de pandore dans laquelle Dernier voulait grimper…
Coup d'œil à l’horloge du micro-ondes: quoi? 7h39? C’est tout? Mais comment va-t-on arriver jusqu’à 20 heures ce soir? Et avant ça, ne serait-ce que jusqu’à 13 heures?
7 minutes à empiler des saladiers en plastique puis 3 à taper dedans avec des cuillères.
16 minutes à lire un livre à tirettes offert par Mamie avec une pause de 3 et 2 minutes à feuilleter des albums photos.
7 minutes à le changer, encore, à enlever des vêtements souillés, encore.
Bon, le jardin est ensoleillé, là, non?
22 minutes, 22 délicieuses, longues, minutes, à jouer seul dans le jardin avec des cailloux.
4 minutes à changer pour la troisième fois Dernier - l’herbe était encore un peu mouillée et mon fils a trouvé un pot à plante sans plante mais plein d’eau.
5 minutes à essayer de faire une lessive, Dernier dans les bras, Dernier dans la loggia, Dernier devant le sèche-linge qui appuie sur tous les boutons, Dernier à pleurer sur le sol parce qu’il n’a pas le droit de toucher à tous les boutons du sèche-linge.
8h46. Bon. L’heure du goûter du matin, non? Entre l’épluchage, le découpage, le nourrissage et le râlage, le nettoyage, le change, une bonne demi-heure passe et il est grand temps de sortir dans la rue.
47 minutes à balader dans le quartier, dont 6 à suivre le camion-poubelle, 9 à suivre un camion-balayeur, 20 à faire de la balançoire, 4 à essayer de l’empêcher de mettre ses mains dans de la boue fraîche, 8 à échouer à le retenir de sauter dans des flaques.
4 minutes à essayer de le calmer parce qu’il commence à s’agiter et pleurer, parce qu’il commence certainement à avoir faim, oui, et sommeil, mais il faut tenir encore un tout petit peu pour ne pas faire cataclysmer ses horaires et nos journées, à le maintenir dans les bras alors qu’il se débat, me griffe, me donne des coups de pieds, oui, mon petit, non, on ne tape pas, on rentre à la maison, alors.
3 minutes à le regarder se traîner sur le sol en pleurant, à chercher en moi de la patience, de la patience, courage, tu peux trouver de la patience, parce que la journée est encore longue.
3 minutes à faire le jeu du “coucou c’est qui? C’est Maman qui est cachée derrière ses cheveux”.
6 minutes à essayer de le faire monter sur le vélo puis 14 à en faire dans la rue avant que ses paupières lourdes ne me fassent rentrer dare-dare.
14 minutes à le regarder toucher à tout, s’amuser et se salir, ce qui est la même chose, dans le jardin, 14 minutes à abandonner d’y pouvoir quelque chose.
11h17… Allez, plus qu’une demi-heure, je ne sais où elle passe, un peu dans la loggia, un peu dans le canapé, un peu dans la salle de bains, ouf, c’est l’heure décente pour déjeuner.
11 minutes pour déjeuner, 13 pour ranger et nettoyer.
7 minutes pour encore changer Dernier, plein de brocolis, d’oeufs, de riz.
14 minutes pour l’endormir et le détacher du sein.
2h01 minutes à moi… Merveilleuses minutes, douces, miennes, qui déjà…
… sont
… passées?
L’après-midi va toujours plus vite: la tétée après le réveil, la sortie en vélo, les jeux sur les places depuis la fin de la piste cyclable jusqu’à la maison, ne sont pas sans frustration ni temps morts, bien sûr, mais sous peu, puisque les jours sont plus longs et que le printemps est déjà là, il est 18h37 et nous venons à peine de rentrer à la maison.
Les dernières deux heures s’étirent en revanche avec méchanceté, entre chansons, danses, dîner, beaucoup de rangement, trop peu de patience et mon ras-le-bol qui, à la fin de cette longue journée, me fait demander à genoux que bientôt, bientôt, Dernier dorme.
20h32. Ça y est. Il dort. La journée est finie.
Temps passé aujourd’hui: 13 heures et 27 minutes.
Température ressentie: éternité.
Le temps avec un jeune enfant est une étrange guimauve: on s’ennuie terriblement pendant une poignée de minutes alors que des heures passent à la vitesse d’une course de formule-1. Déjà, la journée est terminée? Et je n’ai rien eu le temps de faire! Ou si, quand même, j’ai réussi à faire plein de petites choses, dont le minimum de rangement. Il me reste tout au plus 60 minutes à moi, qui vont partir vite, en douche, en quelques mots alignés sur l’ordinateur, en fatigue, fatigue, fatigue… Vite, dormir, parce que demain, demain…
Demain? Il faudra renquiller sur l’éternité.