Debout dans la tempête
 

Batailles choisies #420

Ça existe les conditions idéales pour écrire? Pourquoi saurais-je! J’ai trois enfants alors, l’idéal, pfiou, ça fait longtemps qu’il a déserté. 🌨


 

Je me souviens avec nostalgie autant qu’avec un certain amusement de cette jeune écrivaine que j’étais il y a dix ou quinze ans, celle qui n’avait que des espoirs et des ambitions à son actif, celle qui n’avait pas d’enfant et qui ne se voyait d’ailleurs pas en avoir. Pour écrire, je fabriquais autour de moi les conditions idéales: toujours aux mêmes horaires, avec un stylo préféré, sur des carnets d’une marque particulière; je peinais à écrire si j’étais fatiguée, si j’avais passé une mauvaise nuit; j’avais des temps longs devant mes feuilles blanches, je me décourageais parfois lorsque je me regardais écrire, lorsque je me regardais ne pas réussir à écrire.


Depuis le début du mois de mars, Dernier a été malade une semaine, puis trois jours. La crèche vient de fermer une semaine pour cause de cluster Covid. Mon mari a dû l’amener à la journée chez sa mère, faisant des allers-retours m’obligeant à adapter les rythmes de la famille. J’ai eu des réunions jusqu’à 18 heures. J’ai récupéré les aînés à 16 ou 17 heures, j’ai passé sur 30 jours, environ 30 mauvaises nuits. On a dîné à 18 heures ou 17h45, on a dîné à 19 heures, on a préparé les collations et déjeuners à 17, 18 ou 20 heures. Bref, on a jonglé avec les horaires. Au milieu de tout ça, j’ai, tant bien que mal, continué mes projets d’écriture. 


J’avoue que la fermeture de la crèche m’a fait penser à la tempête parfaite, sur une semaine où, enfin, j’allais pouvoir prendre un peu d’avance pour ne pas courir constamment après mes à-faire. Cette semaine où j’allais avancer sur plein de choses s’est transformée en jeu de la patate chaude avec mon mari pour s’occuper de Dernier - toi le matin, moi, le jeudi, toi, une heure et moi deux en rentrant de l’école.


Les conditions idéales pour écrire… ça fait belle lurette que je ne les ai plus! J’ai écrit à 8 heures du matin, en salle des profs à la récré, le soir à 21 heures, pendant la sieste des week-ends. Je garde en permanence mes vies parallèles, d’enseignante, de membre du collectif d’écriture Nos enfants, nous-mêmes et d’écrivaine, dans des onglets séparés, ouverts, grappillant tous quelques minutes par ci par là. J’avance à tout petit pas sur tous les fronts. J’avance dans la bise, le blizzard et la tempête de neige, à pas lents et douloureux - s’arrêter, c’est mourir, alors l’essentiel, c’est de continuer.


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Cadeau
 

Batailles choisies #419

Trois enfants, trois cadeaux: défi diplomatique et champ de mines. 🪖


 

Un samedi matin, nos deux aînés jouent aux Lego. Ils font chaud au cœur à entendre, Grand donnant des instructions à Milieu, le sous-marin passant sur le lit, sous le lit, au milieu d’un échafaudage de plans compliqués et d’histoires pas possibles. Mon mari doit aller acheter un cadeau pour l’anniversaire du fils d’une collègue. Plein de tout son amour paternel, plein de son optimisme attendrissant, il profite de son passage au magasin de jouets pour acheter à ses trois garçons qu’il adore des jouets qu’ils vont adorer: 

- Tiens, Dernier, pour toi, une petite balle de foot!

- Da!

- Tiens, Grand, pour toi, une voiture de police en Lego!

- Génial!

- Tiens, Milieu, pour toi, un hélicoptère en Lego!

- Hélicoptèr’? Et ma voiture de police?


C’est l’incident diplomatique. Milieu aussi veut une voiture de police. Non, l’hélicoptère, il n’aime pas. Non, il ne veut pas jouer avec un hélicoptère, il veut une voiture de police. Une voiture de POLICE.

Il est 11h30 du matin et, sous l’influence certainement d’un peu de fatigue et d’une petite faim, Milieu fait une crise d’envergure. Il pleure, se roule par terre, essaie de nous taper, passe son temps à demander à son frère de lui prêter sa voiture de police, pleure à chaudes larmes, hurle depuis l’escalier, ne veut rien manger, ne veut rien faire, ne veut rien tout court d’ailleurs, que pleurer. C’est, pour dire les choses rapidement, un méga caprice pour un petit Lego. 



Mon mari est complètement pris de court par cette réaction qu’il n’attendait pas. Il se fâche, trouve que nos enfants sont vraiment des mal élevés, des ingrats, des capricieux. Et puis quoi encore, je lui achète un cadeau et il me fait cette scène! Plus jamais de cadeau dans ce cas!

Et puis quoi encore, lui racheter une voiture de police pour un caprice?


Outré, il m’adresse des regards qui demandent du soutien et une grande fermeté. Je renvoie des regards attendris, patients, pleins d’empathie. Je te soutiens, oui, c’est vrai, c’est pénible… c‘est surtout, mon chéri, que je connais bien le problème! Comme je te comprends! Ça m’est arrivé un certain nombre de fois… on arrive, on a prévu un super truc, vraiment on est sûr et certain que ça va leur plaire: un super pique-nique, une super sortie, un super cadeau. Et puis arrivés au jour J, à l’instant T et au moment M, les enfants sont horribles. Attention, je dis bien: horribles. Pas: ils sont un peu fatigués et ne répondent à votre enthousiasme qu’avec un miroir mou. Pas: ils sont contents mais ils ne jouent pas autant qu’espéré. Pas: ils n’aiment pas vraiment mais disent merci tout de même. Non! Je dis bien horribles: vous avez prévu une activité peinture et ils la versent dans un pot de fleurs; vous avez prévu un pique-nique avec tous leurs en-cas préférés qu’aujourd’hui ils détestent et ils chouinent parce qu’il n’y a que des bâtonnets de concombre; vous les avez emmenés faire une sortie à leur parc préféré et ils ne font que se lancer des graviers dessus. Horribles.

Et vous êtes là, avec votre cœur brisé, votre patience à vif et votre gueule enfarinée.


Mon mari, la gueule enfarinée donc, se refuse, se refuse absolument à céder à un tel caprice, il faut être ferme. Au bout d’une bonne demi-heure de caprice, alors que tout laisser présager un déjeuner terrible et que je le vois osciller entre fermeté et faiblesse, il dit doucement:

- On ne va pas passer la matinée à ça. Et puis quoi encore, lui racheter une voiture de police pour un caprice? Si je cède, c’est la fin de tout. Ou bien on passera à autre chose.

Lui qui a oublié dans son enthousiasme d’acheter le cadeau pour l’anniversaire et doit y retourner, retourne au magasin de jouets. 

La colère passée, on se dit… juste… qu’on a mal joué. Qu’on s’est fait avoir comme un bleu. Acheter des jouets différents, quelle bêtise, mais quelle bêtise vraiment!


Céder, c’est parfois la bonne solution.

- Regarde Milieu, regarde! Papa est revenu!

- Tiens, Milieu, une voiture de police pour toi.

- Merci Papa! Vroooum.

Milieu et son frère partent dans un grand vrooum joyeux jouer avec leurs petites voitures.

Mon mari, avec malice, me dit qu’il lui a coûté cher, l’anniversaire du fils de sa collègue. 

On se regarde et on éclate de rire.

Allez, c’est cadeau.


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