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Tout le monde dehors
 

Batailles choisies #598

Vais-je encore soupirer lassement sur le patriarcat, qui me met au volant du bien-être de ma petite famille, quand mon mari est à la place du (ou fait le) mort? Ou vais-je soupirer sur les Chiliens qui adorent rester enfermés chez eux ? Je ne sais pas. Toujours est-il que je vais soupirer bien fort sur mon Chilien de mari patriarcal. 💀


 

Rien n’est mieux, pour mes enfants et pour nous leurs parents, que de courir dehors par une longue journée de week-end. Dehors, il y a moins de dispute, il y a nécessairement moins de jouets, moins de murs qui nous enferment dans nos plans mais il y a aussi, et surtout, plus d’espace pour faire des bêtises qui se réparent facilement, le monde entier pour construire des cabanes avec l’imagination plutôt qu’avec les serviettes des parents, et puis dehors, il y a tout simplement le bon air qu’on respire, la joie de se dépenser et de se défouler.

Je ressens souvent le fossé qui me sépare des Chiliens, qui ne sortent pas beaucoup de chez eux. Je me demande, je m’étonne, je m’ébaubis (tout en étant admirative) de leur courage de rester prisonnier de leur maison et de leurs enfants. Je vous jure, dans les rues de notre résidence, rarement un gamin! Vous doutez? Par exemple, ma voisine, que j’apprécie au demeurant, reste chez elle, toute la journée ou presque avec ses enfants de 4 et 1 ans et ne sort que pour aller au supermarché ou lorsque nous arrivons, mes enfants et moi de l’école, en fin de journée. Elle reste alors dans la rue juste devant chez elle, la porte ouverte, au cas où une tempête de criquets se lèverait bibliquement et inopinément. Moi, à l’inverse, je trouve insupportable, physiquement et mentalement, de rester toute la journée à l’intérieur avec mes enfants. Je sors dès que possible, dès qu’il fait jour, dès que le soleil ou une dispute pointe le bout de son nez. C’est d’ailleurs mon planning et ma réponse à tout problème: bon, on sort après le petit-déj, bon, cet après-m’, il vaut mieux sortir se promener, et on va où après? Ne pas pouvoir sortir coupe l’herbe sous le pied de toute ma planification maternelle, de tout mon objectif de maman qui se résume en un verbe: survivre. Je veux arriver au bout de ma journée avec des parents vivants et des enfants d’une humeur correcte.

Mon pire faucheur d’organisation prend, malheureusement aujourd’hui, la forme de Mari.

Il est 16 heures et il a joué aux Lego, très très longtemps, en tentant de son mieux de régler les disputes pour la moto à moitié montée ou le casque rouge.

À la première heure, dès que la boîte de Lego a été renversée, j’ai entrevu les problèmes et ai commencé à planifier: on joue une heure et on sort?

Mari a hoché la tête et a continué à monter le temple des Ninjagos.

Pour survivre, j’ai sorti Dernier faire des courses au supermarché puis chez le producteur du coin.

J’ai proposé: avant le déjeuner, on pourrait sortir un peu?

Mari a hoché la tête, mais rien ne s'est passé.

Plus tard, j’ai suggéré: on devrait sortir après la sieste, alors?

Mari a hoché la tête et a commencé à râler sur le bazar laissé par sa progéniture.

J’ai insisté: donc, Chéri, on sort après la sieste, ça te va?

Mari a secoué la tête, déjà fatigué de ma douce insistance, ou bien de ses enfants qui ont passé le seuil d’acceptabilité d’enfermement. Et oui car, Mari, en bon Chilien, un peu comme la voisine, pourrait passer la journée enfermé à se disputer sans qu’il ne lui vienne à l’esprit qu’il faut sortir, qu’il est bon pour tout le monde d’arrêter de se chamailler pour des jouets, ou de laisser monter la cocotte-minute à chaque chaussure traînant dans l’entrée, à chaque slip sur le tapis de jeux, cocotte qui sifflera les pires insultes quand on aura marché sur un Lego. Et c’est à moi, c’est encore à moi, de trouver comment apaiser les esprits, occuper les enfants, aider le mari à les supporter! Pfff…. le patriarcat….

À 16 heures donc, alors que sa cocotte-minute est prête à siffler, alors que Mari tente un moment de communion parentale: “ils sont pénibles, tu trouves pas”, je siffle moi-même entre mes dents “en même temps, on a tous besoin de sortir” avant d’imposer: allez, ça suffit, on sort.

Une fois dehors, les tensions se dissipent, les problèmes s’envolent, les enfants ne se disputent plus. Mari pianote sur son téléphone et fait la tronche, pendant que je m’assure, à force de jeux et de stratégies diverses, que nos trois gosses courent, crient de joie, oublient qu’ils se disputent, mais surtout courent et courent encore. Et oui car mon objectif maternel n’est pas encore assuré. Je tente de faire entrer Mari au club de ceux qui ont compris qu’il est toujours mieux d’être au grand air:

Tu vois, c’est mieux, non?

Oui, oui, c’est juste que j’en ai marre des enfants, ils sont pénibles.

Tu sais, c’est toujours plus facile en étant dehors… pour eux, pour nous… et pour toi aussi.

Pour moi?

Ben oui, tu es moins irritable, tu peux passer plus facilement outre, et regarder le bon côté des enfants, qui ne sont pas si terribles, quand même.

Donc, dès qu’on va se disputer, il faut mettre tout le monde dehors?

Absolument - et toi avec.


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C’est mon troisième
 

Batailles choisies #498

Quand c’est notre troisième enfant, on passe souvent pour une mauvaise mère. 😶


 

Deux bons mots de stand-ups américains que j’aime beaucoup me reviennent souvent en mémoire quand je pense à mon troisième garçon: “Un troisième enfant, c’est comme un chat, tu lui laisses de la nourriture et de l’eau, et il s’élève tout seul” de Stephen Colbert. Et un de Seth Meyers, à propos des parents de trois enfants ou plus (lui-même n’en a que deux à l’époque, et en a trois désormais) disant: “avec ma femme, on aime voir des parents de trois enfants ou plus parce que les parents d’un seul enfant sont trop stressés, ceux de deux, avec les deux nôtres ça fait trop de bazar, alors que les parents de trois enfants ou plus, ils ne se lèvent que s’ils entendent un bruit d’armoire normande qui s’écrase sur le sol, sinon ils se contentent d’un “vous en faites pas, ce sont juste des enfants””. Je pense souvent à ces bons mots dans lesquels je me retrouve complètement. Je ne peux plus avoir constamment à l'œil mon Dernier, qui est de fait très indépendant et même sans-peur. Je lui cours après en évitant les dangers vitaux mais les autres, ben, je ne lui évite pas grand chose. La conséquence, en bien et en mal, c’est que je console les bobos de mon air à la fois lasse, sûre de moi et sûre qu’il ne s’agit de rien de grave pendant qu’autour de moi, on s’inquiète et on arbore des airs tragiques.


Il faut dire que les Chiliens sont très préoccupés par les enfants, très protecteurs et souvent aussi angoissés qu’exagérateurs. Souvent donc, mon flegme, mon calme, passent pour de l’indifférence au mieux, de l’inconscience, ou de la négligence criminelle au pire, alors que moi, je sais juste qu’il ne faut pas se mettre martel en tête: ce sont juste des enfants! Des exemples de l’impression qu’on me reproche de ne pas prendre au sérieux les bobos de mes gosses, j’en ai à la pelle: de l’urgentiste qui me trouve bien calme alors que je suis avec mon bébé qui s’est probablement fêlé le poignet suite à une chute; à de gentilles dames qui, mains sur la bouche en geste d’horreur, veulent savoir si mon bébé va bien alors qu’il s’est juste boîté comme il se doit; à mon beau-frère, qui n’a qu’une fille qu’il surveille comme si elle était faite de verre. Il y a quelques jours, il m’a dit, mi-plaisant, mi-réprobateur, alors que sa petite était tombée (mais normalement, hein, rien de même notable) en marchant à mes côtés: “elle a échappé à ta vigilance, je vois”. C’est juste que, cher beau-frère, la définition de la vigilance n’est pas la même pour ta petite et pour mon dernier-né. Pour mon fils, si je sais à peu près où il est et que je l’entends, c’est bon!


Ultime exemple de cette sollicitude qui me fait passer pour une mauvaise mère ce matin. Dernier et moi sommes dans une librairie. Mon petit est tout mignon et me laisse le temps de feuilleter et de choisir deux livres. Il regarde un gros imagier pour bébé, tranquillement assis sur le sol avant de suivre durant de longues minutes un employé qui range des livres du haut d’une fascinante échelle. Alors que je suis en train de payer à la caisse, je vois Dernier se précipiter vers quelque chose qu’il a vu à l’extérieur, le cri haut, le visage heureux, la course rapide quoique maladroite. Sauf que Dernier, comme dans les meilleurs sketchs des Myton-Python, n’a pas compris qu’il y a une porte vitrée entre lui et l’objet de son intérêt et boum: il fonce dedans, s’y emplâtre et tombe en arrière. Le pauvre chou. Une bosse devant due à la vitre, une derrière due à la renverse. Bien sûr, je le console, le câline, lui dis “mon pauvre bébé, il y avait une vitre”, tout en finissant de payer et en attendant que la dame termine les papiers-cadeau. Dernier est en train de sécher ses larmes quand un vigile, d’une cinquantaine d’années, grand et costaud, qui devait faire sa ronde devant la librairie, entre l’air inquiet et me demande comment va mon bébé.

Avec des inconnus, je ne sais pas comment répondre et entre ma timidité, ma voix sèche de française un peu dure, je dois passer pour la pire des insensibles.

- Euh, oui, ça va. Il s’est fait un peu mal. Il est un peu rouge, là, dis-je en montrant son front.

- Oui, il est rouge, très rouge.

- Oui, le pauvre.

Une longue seconde pleine de jugement passe.

- Je peux faire quelque chose pour vous?

- Euh… non, ça va, merci. Plus de peur que de mal.

Une autre seconde avec autant de jugement, en plus sévère, passe.

- N’hésitez pas parce que je peux vous aider à l’amener à la Clinique.

En moi-même je me dis: “À la clinique pour une bosse? Non mais faut pas exagérer…”

L’air douloureux du vigile me fait plus de peine que Dernier. Je dois donc ressortir ma technique spéciale Chiliens pour ne pas passer pour Cruella et lui dire que je vais vite rentrer à la maison lui faire un câlin, tout en pensant en moi-même “non, mais c’est mon troisième, ça va”.


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