Batailles choisies #162
En deux mots:
La charge mentale existe aussi pour les messieurs. Aïe.
Après une journée à s’occuper des tracas que signifient les travaux dans la maison en ce moment (chauffe-eau, fenêtres, contacter les artisans, ceux qui ne viennent pas, en retard ou doivent revenir la semaine prochaine parce qu’ils n’ont pas fini), enfin, en fin d’après-midi, mon mari se met au bureau.
Je vais à la piscine avec les enfants, occupation facile, pour que monsieur puisse travailler.
Grand me dit après un peu de trempette: Maman, il y a un moteur qui est cassé. Je ne comprends pas bien d’abord, et puis je finis par voir et comprendre: la lampe de la piscine s’est détachée et du bout de son câble, flotte dans l’eau.
Ah.
Merde.
C’est monsieur qui va pas être content.
Encore un truc cassé dont il va falloir qu’il s’occupe.
À la maison, je n’ai pas de doute qu’en termes de travail domestique et parental, j’assure le plus gros: les enfants, la gestion du foyer. Par contre, je ne fais rien de ce qui concerne le jardinage, l’entretien de la maison, ni les papiers administratifs. C’est ma façon d’équilibrer les trucs et il s’en sort mieux que moi là-dessus (et aussi, psst, je déteste ça). La répartition des tâches est sexiste au possible chez nous, mais enfin tant pis, je me vois mal regarder des tutos de plomberie sur Youtube pour mettre à bas le patriarcat.
-Maman, je vais tout de suite le dire à Papa!
-Euh, non attends, enfin si, enfin, déjà on sort tout de suite de la piscine.
J’ai peur d’un coup qu’on s’électrocute (je ne comprends pas bien comment les lampes vont dans la piscine sans électrocuter personne) mais en même temps j’ai à peu près aussi peur d’aller chercher Papa qui vient de se mettre au travail pour lui annoncer qu’il faut qu’il répare encore un truc.
Attends, on va s’habiller d’abord, on va… attends, Grand, attends!
Trop tard… Grand à peine sec est allé chercher son père, parce qu’il adore cette responsabilité de dire que quelque chose est cassé, de participer à sa manière, sautillant de joie, en pointant vers un robinet qui fuit ou une poignée de porte flanchante.
Papa descend sous peu, tête de trois pieds de long. Effectivement, il est pas content.
C’est sa responsabilité et sa charge mentale.
Sa tête de trois pieds de longs, les insultes que je vois perler au bord de ses lèvres… c’est donc à ça que je ressemble quand j’ai demandé à ce qu’on range le linge et qu’il est encore dehors, ou que j’avais prévu qu’on finisse des restes et que monsieur a commandé des pizzas?
Ces moments où je vois que mon mari porte une charge avec laquelle je ne l’aide pas du tout existent. Je sais aussi qu’en heures et en énergie, ce n’est pas comparable: le temps passé à vérifier l’installation du nouveau chauffe-eau ne sera jamais aussi aliénant que celui passé à jouer aux petites voitures.
J’offre mon visage le plus neutre pour éviter l’engueulade, alors que monsieur bidouille les installations électriques et met son maillot de bain avec le même enthousiasme que s’il allait se jeter dans une eau croupie. J’essaie surtout d’empêcher les enfants d’aider Papa. Grand, posté à côté de son père qui est dans la piscine jusqu’aux genoux, n’arrête pas de parler, explique dix fois avec son ton haut perché, comment il a vu la lampe cassée et demande si elle ne va plus jamais marcher, hein, Papa, hein, il va falloir en racheter une? Petit amène tous les outils qu’il trouve dans le jardin pour aider lui aussi Papa dans cette mission: une pince, un râteau, un tournevis, une pelle.
Papa est furibard, complètement coupé dans sa concentration. Il se mord les lèvres pour ne pas nous insulter tous. Je me mords les lèvres pour retenir un fou-rire.
On va éviter les conversations sur la charge mentale, ce soir, ça vaut mieux.